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gardien vigilant des « gloires de l’Empire, » Victor Hugo, dans ses rêves d’enfant et d’adolescent comme dans sa pensée d’homme fait et de vieillard, n’a cessé d’être obsédé par l’image du vainqueur d’Iéna et d’Austerlitz ; et malgré les oscillations d’un sentiment qui, tour à tour, cédait et résistait au prestige du « géant historique, » ses vers restent tout illuminés de la splendeur d’une destinée sans pareille. Tout jeune, il prêtait l’oreille à la fanfare napoléonienne, et, au collège de Madrid, il livrait des combats « pour le grand empereur. » A sept ans, dans une fête, au Panthéon, il le vit au milieu de ses grenadiers, furieusement acclamé par la foule,


Passer muet et grave ainsi qu’un dieu d’airain ;


et un peu plus tard, parmi les canons sautant sur les pavés et les volées de cloches, disparaître « dans un flot de poussière dorée. » Dès lors, Napoléon est pour lui « l’homme ineffaçable. » Il peut bien, à vingt ans, dans la ferveur passagère de sa foi royaliste, écrire Buonaparte [1], condamner le despote et son immense orgueil, et l’inscrire au rang des « faux dieux, » ou encore, l’année suivante [2], dénoncer celui qui, dans sa folie, voulait « tous les trônes pour marchepied. » Le même recueil contient aussi la pièce Les Deux Iles [3], écrite deux ans après, où un diptyque nous montre d’abord l’enfant écoutant les chants mystérieux qui lui prédisent sa grandeur future, l’essor de ses aigles portant son tonnerre dans leurs ongles, les rois veillant aux portes de son palais ; — puis le captif écoutant en lui et autour de lui les voix accusatrices de ses victimes, les malédictions des morts. La postérité se souviendra-t-elle de la Corse ou de Sainte-Hélène, du berceau ou de la tombe ? Le poète se dérobe à l’instant de conclure ; mais déjà on sent chez lui une grande pitié pour l’avortement d’un grand rêve.

Désormais et pendant trente ans, il se fait le panégyriste sans nuances de Napoléon ; il est le « Memnon » de ce « soleil, » le prêtre de ce Dieu. Si, dans l’ode ; A la Colonne de la place Vendôme, il ne le présente encore que de biais, dans les Orientales il le dresse « de toute sa hauteur » et l’exalte dans toutes ses incarnations, jeune consul « pâle sous ses longs cheveux

  1. Odes, I, 11, 1822.
  2. Odes, II, 4, 1823. A mon père.
  3. Odes, III, 6.