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noirs ; » empereur « grave et serein ; » prisonnier surveillé par un porte-clefs anglais, seul en face de sa pensée tumultueuse et stérile, grand partout, grand surtout dans cette cage sans air où l’enferment les rois. Le 7 octobre 1830, plusieurs pétitionnaires demandaient que la Chambre intervînt pour faire transporter les cendres de Napoléon sous la Colonne Vendôme. Après une seconde délibération, la Chambre crut devoir passer à l’ordre du jour. Ce fut pour Victor Hugo l’occasion d’écrire la seconde Ode à la Colonne [1], où le vainqueur de l’Europe apparaît « glanant » les canons ennemis, les jetant par brassées dans la cuve bouillonnante pour que de ce bronze en fusion jaillisse le pilier colossal « fait de gloire et d’airain. » Les années passent. Rien n’efface ou même n’obscurcit la vision éblouissante. Victor Hugo jette-t-il un regard dans une mansarde où travaille une fille du peuple [2] ? Il cloue au mur de la chambre, près de la cheminée, entre une statuette de la Vierge et le buis de l’année, une image de Napoléon ; et près de cette image brille une croix d’honneur, fierté d’un vieux soldat qui n’est plus. Et la pensée de Victor Hugo s’évade de la cellule : avec des mots émouvans, il évoque les revues où l’Empereur décorait ses grognards tremblans de joie, une extase dans leurs yeux fixés sur leur idole. Lorsqu’on 1840 Louis-Philippe, qui commandait en même temps à Horace Vernet une série de tableaux de guerre, chargea le prince de Joinville d’aller recueillir à Sainte-Hélène les cendres du héros, Victor Hugo jeta sur le papier des strophes triomphales. Ce retour des Cendres, il l’avait souhaité, prédit, promis dans l’Ode à la Colonne :


Dors ! Nous t’irons chercher. Ce jour viendra peut-être...
Oh ! va, nous te ferons de belles funérailles.


On peut dire qu’il l’avait préparé par l’ardeur et la fidélité de son enthousiasme. Une fois de plus, en images éclatantes, l’essaim bruissant des victoires françaises, Iéna, Arcole, Lodi, Marengo, monte dans l’air lumineux [3]. Mais par delà la mort, une suprême conquête éclipse toutes les autres ; c’est la conquête de Paris, la cité sacrée. Car pour la mériter, il faut mêler

  1. Chants du Crcpvscule, II.
  2. Les Rayons et les Ombres, IV.
  3. Le retour de l’Empereur.