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la grandeur « de l’Océan immense à la majesté du tombeau. » Pourtant l’attentat du 2 décembre réveille chez Victor Hugo le souvenir longtemps endormi du dix-huit Brumaire. En 1852, il est républicain ; il a marché avec le siècle. Il écrit donc cette trilogie : L’Expiation. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène, n’ont fait que commencer un châtiment divin que devait parachever seulement la parodie de la gloire napoléonienne. Mais ici encore continue d’agir le prestige de « l’homme étrange » qui avait « enivré l’histoire. » Dans les vers qui le frappent il y a plus de tristesse que de colère, de la pitié et du respect. Le justicier reste l’admirateur, le condamné reste le héros. « Chêne vivant, » la hache peut bien « l’insulter ; » le Destin peut bien clouer le prisonnier sur le rocher de Sainte-Hélène : ce crucifié, c’est « le voleur du tonnerre » et du feu céleste ; c’est Prométhée sur le Caucase... La mission, une des missions des grands poètes, est de ne pas laisser tomber en déshérence le legs d’un illustre passé. Si pendant les quarante-quatre ans qui se sont écoulés depuis notre défaite de 1870, tout décidés que nous étions à ne pas déchaîner une guerre de revanche que nous savions devoir être mondiale, nos yeux restaient obstinément fixés sur le « passant prodigieux » dont le seul nom voilà cent ans nous gagnait des batailles, à l’heure où le réveil de l’âme héréditaire nous recrée un patrimoine d’impérissables souvenirs, quel poète est plus digne de notre gratitude que celui qui, consacrant le génie de l’art au génie de l’action, magnifia le plus somptueux pourvoyeur de gloire que la France ait jamais connu ? Cela, d’autant plus que son patriotisme associa toujours à l’éloge de l’incomparable entraîneur d’hommes la louange du soldat français.

L’histoire dira ce que fut le soldat français durant la guerre de 1914, ses témérités meurtrières du début, son adaptation rapide à une forme de défensive et d’offensive imprévue, sa ténacité dans l’effort, la grandeur de son abnégation. Et il nous plaît donc de trouver à travers l’œuvre de Hugo qui a si souvent glorifié les armes de la France, dans la défaite comme dans la victoire, sinon une psychologie détaillée, du moins une image, ou plutôt une fresque des ancêtres de nos héros d’aujourd’hui, affirmant la continuité des vertus guerrières de la race. Dans quelques-unes des plus belles pièces de la Légende, des Châtimens et de l’Année Terrible, le poète a évoqué les soldats de l’an II,