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Aimer les Allemands ! s’écrie Hugo de toute la force de son indignation : le dédain et la haine, c’est la seule attitude qui sied aux vaincus. Honte à qui, tant que la France pleure, relâcherait quelque chose de sa rancune et consentirait à « cette lâcheté qu’on appelle l’oubli ! » Il l’a redit inlassablement, en novembre 1872, dans la pièce Alsace-Lorraine, où il a rugi sa haine contre les soudards bottés qui foulaient le sol de la Patrie :


Non ! nous n’oublierons pas ! Lorraine, Alsace, ô villes.
O chers Français, pays sacrés...


en septembre 1873, au moment de la libération du territoire :


Non, remparts, non. clochers superbes, non, jamais
Je n’oublierai Strasbourg et je n’oublierai Metz,


Quatre ans plus tard, dans l’Élégie des Fléaux, il adjure encore la France d’avoir sans cesse présente à la pensée l’ennemi héréditaire, de toujours garder dans sa mémoire les villes arrachées, les provinces sanglotantes. Et jusque dans l’Art d’être Grand-Père, après Jeanne endormie, il a écrit Patrie, où il plaint « le malheur sacré de la France » et affirme l’obstination de son ressentiment. Ainsi gronde en ces brûlans poèmes une âme de colère et de violence, et la volonté des destins fait que cette âme est sœur de nos âmes.

Et combien, s’il eût vécu les « années terribles » que nous vivons, sa haine de patriote se serait-elle aggravée de sa haine d’artiste passionné pour les monumens du passé, pour les splendeurs architecturales de la France ! Il disait, en 1832, dans la préface de Notre-Dame de Paris : « Conservons les monumens anciens. Inspirons à la nation l’amour de l’architecture nationale. L’auteur a déjà dans plus d’une occasion plaidé sa cause. Il sera infatigable à défendre vos édifices historiques. » Sans doute il faisait allusion à l’ode qu’il écrivait en 1823, sous Ce titre : La Bande Noire.


 O débris ! Ruines de France...
Arceaux tombés, voûtes brisées ;
Vestiges des races passées.
Comme une gloire dérobée,
Comptons chaque pierre tombée.