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Admirateur des « vastes symphonies » que sont nos cathédrales gothiques, chantre de Notre-Dame, de nos hôtels de ville, de l’Arc de Triomphe, Victor Hugo a été vraiment le poète des pierres, il a fait siennes les pages du Génie du Christianisme où Chateaubriand célèbre la magnificence de l’art médiéval. La genèse de Notre-Dame de Paris a été une pensée d’esthétique. Avant d’être un roman c’est un plaidoyer, un éloquent plaidoyer non seulement pour l’église-cathédrale de Paris, mais pour « toutes les églises de la chrétienté au Moyen Age, » trésors inestimables que les Germains, ceux d’Arras, ceux de Reims, ceux de Meaux et de Bapaume, s’acharnent à détruire avec une sauvagerie de Vandales. Cette phrase de Charles Nodier qui sert d’épigraphe à La Bande Noire, « Voyageur obscur, mais religieux, au travers des ruines de la Patrie... Je priais, » il n’aurait que trop de motifs pour la redire avec une douleur infinie en présence des débris sacrés qui jonchent notre sol, et son œuvre contient donc implicitement la flétrissure des attentats commis contre la beauté française.


Même restreinte à son intérêt d’actualité, on voit quelle est l’envergure et la portée unique de cette œuvre. Elle répond à nos besoins d’émotion accrus par la cruelle violence de l’épreuve ; elle atteint les portions les plus hautes et à la fois les plus frémissantes de notre sensibilité. Mais ce qui plus encore désigne Victor Hugo comme le poète de la guerre, c’est d’une part l’énormité de son imagination, pièce maîtresse de son génie, et sa vision épique du monde ; et de l’autre, sa philosophie ou du moins sa conception même de l’histoire.

Dans l’ordre matériel comme dans l’ordre moral la guerre actuelle a reculé les bornes du possible. Si, en 1870, dans sa Lettre à une femme, Hugo écrivait : « Schmitz fait des bulletins plats sur la guerre énorme, » comment qualifierait-il le conflit d’aujourd’hui qui non seulement heurte des millions de combattans, comme les batailles de jadis en mettaient aux prises des milliers, mais qui ébranle les assises des « vieilles nations » et renverse brutalement « les vieilles couronnes, » qui s’étend de l’Europe à l’Amérique et à la Chine, qui sévit sur la mer et dans les airs comme sur la terre et sous la terre ? Tout y est démesuré,