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avoir préfiguré par la représentation simplifiée qu’il se fait de l’humanité à travers les âges l’image synthétisée du monde à l’heure présente ? A mesure que s’éclaire la conscience des peuples et que la guerre s’annexe de nouveaux théâtres, nous assistons de plus en plus à un duel gigantesque entre la Force et le Droit, entre la Civilisation et la Barbarie. Le spectacle se précise de toutes les forces libératrices dressées contre les forces de destruction, d’une coalition de races groupées autour d’un drapeau et d’une idée que d’autres races veulent abattre et détruire. Or l’unité de la Légende repose sur une antithèse essentielle entre les bons et les méchans, les victimes et les bourreaux. Ce sont d’un côté les héros bienfaisans et les soldats de la justice éternelle, de l’autre les fauteurs d’injustices et les destructeurs de vies innocentes. Les premiers sont le sel de la terre ; les seconds en sont les fléaux. Les héros, ce sont Roland, vainqueur des infans et de leur bande, sauveur du roitelet chétif que guettait le cloitre obscur ou le ravin profond, le Cid, les grands vieillards, Eviradnus, le chevalier d’Alsace, Welf, Fabrice, le comte Félibien, Jean Chouan, qui se sacrifie pour sauver Jeanne-Madeleine, et le père de Hugo lui-même. Et il y a aussi, pour nous émouvoir davantage par l’analogie tragique des réalités récentes, le chœur des enfans héros, parfois des enfans martyrs, l’enfant grec qui, assis sur les ruines de Chio, sa patrie, a désappris le sourire ; Aymerillot, le petit compagnon vêtu de serge et qui prit Narbonne que nul preux ne voulait prendre ; l’enfant anonyme qui sur la barricade, esclave de sa parole, était prêt à mourir comme mourut Gavroche ; et ce téméraire et charmant Jacques, lord d’Angus, seize ans, blond et vermeil, vêtu de lin et de soie, plume au front, qui marche si gaiement et si crânement à sa première bataille,


O jeunes gens déjà risqués, à peine éclos !


Angus, frère d’Euryale et de Pallas, fauché comme eux dans sa fleur, frère aussi, du droit de la poésie, de tant de jeunes officiers qui, en août 1914, mettaient leurs gants blancs et leurs plumets de. saint-cyriens pour courir à la mort... En face d’eux il y a les rois bourreaux, les goujats couronnés, les tueurs de femmes et d’enfans. C’est en pensant à eux qu’Emile Montégut écrivait [1] : « Comme Hugo sait faire luire à nos yeux l’incendie

  1. Emile Montégut, op. cit.