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des villes !… Pour peindre les tyrans, il a tiré des charniers de l’histoire tout ce qu’ils contenaient de charognes infectes, de chaînes rouillées, de suppliciés en putréfaction. » Les Ratbert, les Othon, les Pancho, les Gesufal, les Ascagne ont avili la guerre, en ont ravalé la tragique grandeur. Où ils ont passé les maisons brûlent, d’acres tourbillons se tordent sous les nuées et d’horribles râles sortent des fournaises. Ascagne, fils de Jayme, a pris d’assaut Abraz qui lui refusait le passage. Ses soldats ont enfreint les lois de guerre aragonaises : des enfans ont été jetés vivans dans les flammes, et, après trois jours de pillage, le chef a ramené ses gens dans la montagne. Ratbert, fils de Rodolphe et roi d’Arles, après avoir tenu un conseil à Ancône sur le droit qu’il a de conquérir le fief de Final, surprend la citadelle sans défense. La garnison est massacrée. Les tours flambent comme des torches. Et voici que passe une civière que recouvre un linceul : deux pieds d’enfant sortent du brancard. Le drap soulevé, un cadavre apparait, celui d’Isora, une enfant de cinq ans, étranglée, crispée, livide. Et tandis que Fabrice son aïeul se roule en sanglotant sur la petite morte, le porte-glaive tranche d’un seul coup la tête vénérable.

De poème en poème, les atrocités s’aggravent ; l’iniquité des rois fait reculer « la limite effroyable des crimes. » Dans la pièce. Le Jour des Rois, quatre grandes villes en Bigorre, en Aragon et en Catalogne brûlent à la fois, et les quatre embrasemens se confondent en un gigantesque foyer. Flamme au Nord : c’est Vich incendiée. Au Midi, c’est Girone. À l’Orient, c’est Lumbier. À l’Occident, c’est Téruel. Don Pancho, roi d’Oloron ; Gil, roi de Luz ; Ariscat, roi d’Aguas ; Gesufal, loi du Mont-Jaxa, sont les incendiaires. Ils fêtent leur jour, le jour des Rois. Ils n’ont même pas épargné le couvent des Filles de la Croix ; des soudards ivres en ont brisé les portes et


Tout s’est évanoui dans un rire féroce.


Et tandis que fuient les manans éperdus, mêlés aux troupeaux de moutons et de bœufs, s’écrasant, cohue sans défense, entre les parapets d’un vieux pont de granit, les soldats arrachent aux mères leurs petits et les jettent morts ou vivans dans l’Ebre… Bouleversés que nous sommes au plus profond de notre être par la sauvagerie de la guerre allemande, l’âme accablée par le souvenir, par le spectacle des crimes de nos