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ennemis, lorsque nous relisons ces pages de sang et de boue où l’art de Victor Hugo atteint à des effets d’une si rare intensité visuelle, pouvons-nous n’être pas saisis de constater un tel accord entre la vérité et la fiction ? Cette sombre poésie est de l’histoire, histoire d’hier, toute chaude et palpitante encore de larmes et de frissons humains, et la guerre d’aujourd’hui est comme une page suprême, plus émouvante d’être réelle, de la Légende des siècles.


Après les grandes secousses de l’histoire, la conscience collective d’une époque requiert un interprète de ses émois et de ses gloires. Sans nul doute une poésie se dégagera, — dans dix ans ? dans quinze ans ? — de l’immense bouleversement qui aura transformé la face du monde. Le poète qui chantera la victoire de la civilisation sur la barbarie, je l’imagine rêvant devant les infinis, et tantôt levant les yeux vers le flamboiement stellaire, tantôt les ramenant vers les lointains de l’ombre. Les images se déposent en lui, les sensations s’élaborent, germe et gestation des tableaux futurs. Son âme sans mesure s’ouvre à tous les sentimens humains et devient un monde. Tour à tour élégiaque, épique, satiriste, il aura des larmes pour les victimes, des hymnes pour les vainqueurs, des imprécations pour les bourreaux. Et comme la France sortira grandie de l’épreuve, il aura surtout des paroles françaises qui nous remueront jusqu’aux entrailles. Son verbe inépuisable se coulera dans toutes les strophes, s’assujettira tous les rythmes. Les mots, tous les mots, seront à sa voix comme un troupeau discipliné. Ceux-ci moduleront la mélancolie des plaintes ; ceux-là clameront des fanfares triomphales... Autant dire que, si la poésie née de la guerre vivra de thèmes renouvelés, elle sera nécessairement dans le sens de la poésie de Victor Hugo. Et ainsi c’est bien lui, « toujours lui, lui partout, » qui est au seuil de la littérature moderne, plus vivant que jamais après trente ans écoulés, plus Français, plus nôtre, et semblable à l’un de ces Mages qu’il a si magnifiquement chantés dans les Contemplations, et parmi lesquels, « lorsqu’une forme du mal se lève, »


Dieu choisit quelque grand athlète
De la stature du fléau.


LEON CURY.