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révélations, de la rendre plus poignante par l’effet de son art. L’histoire suffisait. Et, surtout, l’émoi que l’orateur, l’évocateur plutôt, contenait avec un soin délicat. Bref, à mesure que défilaient tant de promesses, tant de malheurs, les fatalités d’une existence précieuse et sur laquelle de bons Français avaient compté, l’angoisse augmentait. L’aveugle qui faisait voir avait à résister plus difficilement contre l’impatience de son cœur, de sa voix, de ses mains. Il arriva au bout de son récit, put dire adieu à son prince, l’ensevelir, le complimenter d’être mort en héros et le plaindre de n’être pas, malgré son vœu, mort pour la France. En 1911, la France n’était pas dans toute la tribulation ; mais, à des signes que personne n’aurait dû méconnaître, elle devinait confusément les lendemains. - Elle songeait avec inquiétude au cours que les événemens avaient pris ; et elle songeait aux éventualités qui n’avaient pas eu leur aubaine. C’était l’année que notre ambassadeur et M. de Kiderlen-Waechter échangeaient de mystérieux propos, et alarmans... L’aveugle raconta une histoire de jadis et qui, dans la pensée de tout son auditoire, se mêla aux craintes d’une histoire prochaine. Il y eut des sanglots ; des larmes ont coulé, sur la mémoire du petit Prince mort, à vingt-trois ans, comme un lion.


Augustin Filon était né en 1841. Son père était professeur ; et les derniers humanistes n’oublient pas un poème latin de lui sur le papillon, flores inter flos aliger ipse. Augustin Filon se destina pareillement à l’Université, fut normalien et, en 1867, il enseignait la rhétorique au lycée de Grenoble. Vers la fin d’août, pendant ses vacances, Duruy, qu’il avait eu pour maitre au lycée Napoléon, puis à l’Ecole normale et qui était maintenant grand maître de l’Université, le fit appeler et lui dit : « On cherche un précepteur pour le Prince impérial. Je vous présente. Allez trouver le général Frossard à Saint-Cloud ; il vous attend. » Deux heures après. Filon se présentait au général, très imposant et qui lui demandait tout de go : « Etes-vous fiancé ? » Non. C’est que d’abord il fallait ne pas être fiancé : les autres conditions. Filon les remplissait également bien. De sorte qu’on l’agréa sans retard. En peu de temps, il eut engagé, sans le savoir, toute sa destinée ; il eut joint sa fortune à celle de l’Empire. Sans le savoir alors : mais ce fut sa volonté fidèle qui prolongea le pacte et l’abnégation.