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La guerre éclate. Le 28 juillet, dans la matinée, l’Empereur avec le Prince, accompagnés du prince Napoléon, partent pour Metz. Le Prince, petit sous-lieutenant de quatorze ans, est radieux. Il assiste au combat de Sarrebrück et bientôt écrit à son précepteur : « Nous entrons à l’heure qu’il est dans Sarrebrück... Toutes les musiques ont joué la Marseillaise et tout le monde la chantait : c’était très beau. Les Prussiens l’ont entendue : ça n’a pas dû les rassurer. » Après cela, Wissembourg, et puis Reichshoffen et Forbach. Alors, il faut s’en aller : Vardun, Châlons, deux premières étapes de chagrin ; remonter vers le Nord, quitter l’Empereur, gagner Sedan, Mézières, Avesnes, Landrecies, Maubeuge : et les étapes du chagrin sont rapides, nombreuses ; passer en Belgique, de là passer en Angleterre. Le 9 septembre, six semaines écoulées, le petit Prince, fatigué, taciturne, retrouve au port d’Hastings, à Marine Hôtel, son précepteur. L’Impératrice et l’enfant malheureux s’établissent à Chislehurst, dans le comté de Kent Camden House : « Lorsque, après tant d’années, j’évoque cette maison de l’exil, lorsque je la regarde à travers mes larmes, avec tant de souvenirs heureux et tristes qu’elle abrite, je ne sais plus si elle me sourit ou me repousse, si je dois la maudire ou l’aimer ! » Pour la maudire ou l’aimer, ce n’est pas à lui-même qu’il pense, mais à l’objet de son dévouement. Il accompagne son élève à Woolwich, quand le Prince est admis à l’Ecole militaire. Il passe avec lui tout le temps que lui laissent les exercices et les cours. Il demeure avec lui, cause avec lui, le gouverne doucement, devient son grand ami quotidien. Il est là, ce 9 janvier 1873, le matin, lorsque le Prince apprend la mort de l’Empereur. Mené à la chambre de son père, le Prince tombe à genoux et récite à haute voix le Notre Père : un enfant s’était agenouillé, un homme se releva. Celui qu’on appelait le petit Prince eut la soudaine conscience de son rôle et, non pas de ses droits, de ses devoirs. Deux ans plus tard mourut M. Filon le père ; et le Prince écrivit à son maître : « Lorsque j’ai perdu mon père, mon devoir m’est apparu clairement. A partir de ce jour, je n’ai plus eu qu’un but dans la vie et je marche toujours droit devant moi, sans regarder en arrière. » Le précepteur était là, dans la foule, le 16 mars 1874, jour que le Prince fut proclamé majeur et, devant une assemblée de fidèles, prononça ses jeunes volontés. Le discours est l’œuvre