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criaient leurs journaux : « La mort du Prince Impérial ! » Il crut entendre, il entendit, il se jeta hors de son lit. Eperdu, il commanda qu’on lui apportât le journal. Une femme qui le veillait descendit, épouvantée, et revint quelques momens après, affectant le calme et lui racontant qu’il avait mal entendu : non, c’était la mort du prince d’Orange que l’on criait dans les rues. Il crut qu’il avait eu le cauchemar. Sa faiblesse l’empêcha d’interroger personne sur la manière dont le prince d’Orange était mort, trop content de savoir ainsi que son Prince était vivant. « On me tint deux mois dans l’ignorance, a-t-il écrit beaucoup plus tard. Ma femme était en deuil et je n’en savais rien. Tout pleurait le Prince autour de moi et je parlais de la joie que j’aurais à le revoir quand je serais guéri. Ce n’est qu’au bout de deux mois que les médecins me jugèrent en état de supporter la nouvelle et une ingénieuse tendresse m’y prépara par mille précautions... » Les boutiquiers et les concierges de la rue de Ponthieu, mis au courant, guettaient le passage des camelots et les détournaient de passer sous les fenêtres du malade. S’il le dit, c’est afin de rendre hommage à de bonnes gens ; c’est, en outre, afin de montrer que la cause et la personne du petit Prince étaient populaires.


Tout jeune, encore élève à l’Ecole normale, Augustin Filon donna, aux Conférences du rez-de-chaussée, plusieurs causeries, sur « Le dernier livre de M. Taine, La Fontaine et ses fables, » sur « les Lettres Portugaises, » sur « Gui Patin, sa vie et sa correspondance. « Ces petites études sont fines et ont déjà le tour de son esprit délicat. Sans doute allait-il céder à la tentation d’être conférencier, littérateur. Et puis le soin de son enseignement d’abord et de son préceptorat le prit tout entier. Ce n’est qu’ensuite, et sous le pseudonyme de Pierre Sandrié qu’il publia ce recueil de nouvelles : Les mariages de Londres, Les Émotions de Sidney, Lilian, La Belle-sœur. Et vint la maladie. Son premier livre qui compte est son Histoire de la Littérature anglaise, qui ne parut qu’en 1883, — quand il avait passé la quarantaine, — et qui résume une très longue, patiente et intelligente enquête.

Fixé près de Londres, Filon résolut de connaître l’Angleterre, et non comme un voyageur, qui regarde, s’étonne et s’en va, ni comme un Anglais, qui, à force de voir toujours la même