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chose, ou peu s’en faut, ne la voit plus guère. Il lui sembla que sa qualité, premièrement défavorable, d’étranger tournerait à son avantage : à mesure qu’il serait un étranger qui s’acclimate, il garderait la fraîcheur d’observation libre, mais de mieux en mieux pénétrerait dans le secret d’une âme très différente de la nôtre. Homme de lettres, il commença par la littérature ; mais il porta son examen très attentif bien au delà, comme en témoignent son essai sur Le Théâtre anglais, puisque l’usage et souvent la raison permettent de distinguer ces deux choses qui ont des analogies et des différences, le théâtre et la littérature ; son essai sur La Caricature en Angleterre, tout plein de vues très pénétrantes sur l’art anglais ; ses Profils anglais, profils d’orateurs et d’hommes d’État, Randolph Churchill, Joseph Chamberlain, John Morley, Parnell ; enfin son Angleterre d’Édouard VII, où il a rassemblé ses remarques et, à la date de 1911, évalué le bilan de l’Angleterre contemporaine. Évidemment, beaucoup de nouveautés se sont produites, là-bas de même que chez nous, dans cet espace de six années, dont les trois dernières valent des siècles. Augustin Filon ne prétendait pas formuler un jugement définitif, ni seulement une appréciation très longtemps durable. Au contraire, il avait un sentiment très vif de la mobilité universelle, en particulier de la mobilité anglaise : un tel sentiment de la transformation, toujours plus rapide, que l’angoisse des lendemains fait, pour ainsi parler, frissonner toute son œuvre d’historien. Au sujet de l’Angleterre, après avoir examiné les tendances contraires et parfois contradictoires qui se disputaient l’âme de ce pays, il écrivait en 1911 : « Que sortira-t-il de ce chaos où bouillonnent ensemble tant d’élémens dont la fusion paraît impossible ? Peut-être, quelques-uns le croient et l’affirment, une foi nouvelle, un idéal nouveau, une nouvelle race d’hommes, trempée pour des luttes inconnues et pour des efforts auprès desquels les nôtres n’ont été que jeux d’enfans. Peut-être, d’autres le crient bien haut, la ruine, la conflagration universelle, l’abolition de ces grands principes sociaux que Napoléon appelait des blocs de granit, et la nécessité, pour la génération prochaine, de se construire un abri provisoire dans un désert de ruines. Peut-être rien ; rien que le passage d’un monde endormi à travers une queue de comète. » La dernière hypothèse est de précaution dans l’incertitude. Les autres, je ne veux pas dire qu’elles