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grand des Français, Voltaire... « Il estime à son prix la liberté de penser ; mais il en constate les coïncidences funestes. Alors, no va-t-il pas donner au peuple des initiatives redoutables ? Il n’est pas un doctrinaire et ne se flatte pas d’avoir supprimé toutes les difficultés de l’arrangement national et social. De toute manière, s’il croit au peuple et aussi le redoute, s’il croit à la liberté de penser sans dire qu’elle soit anodine, il a une confiance particulière dans le peuple anglais, dans la liberté de ce peuple qu’il juge capable d’innovations, et d’innovations qui ne détruisent pas le trésor légué par la sagesse des ancêtres. Ce peuple a, comme il le peint, le génie de l’évolution.


C’est une des bonnes raisons pour lesquelles il a voulu le révéler à ses compatriotes qui auraient plutôt la manie de la révolution. Il n’a pas vécu très longtemps en Angleterre avant de voir que les Français, — lui, par exemple, — ignoraient leurs voisins de l’île autant que les Anglais le continent. Toute une grande partie de son œuvre est consacrée à corriger ce défaut d’information. Après avoir publié dans cette Revue ses études sur le théâtre anglais, il donnait à la Fortnightly Review la série d’études qu’il a intitulées De Dumas à Rostand : c’est l’esquisse, et très finement tracée, du mouvement dramatique en France. D’ailleurs, il ne souhaitait pas qu’une influence directe et impérieuse vînt à s’exercer d’une littérature à l’autre. Il mettait en garde ses amis les Anglais contre le prestige de nos comédies. Pendant une période peu ancienne, les Anglais ont copié notre théâtre, et l’ont mal copié ; nos écrivains ne leur ont point enseigné leur secret : le résultat fut de supprimer, pour un temps, le véritable théâtre anglais. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, à part Dryden et Gray, trouvez un poète anglais : « le peuple qui avait enfanté Shakspeare s’épuisait à imiter Boileau. » Puis le charme si malfaisant se rompt : Burns, Wordsworth, Scott, Byron, Coleridge, Keats, Shelley éclatent magnifiquement. Les arts ? Il y avait un art anglais, — et qui peut-être n’était pas sublime, un art anglais du moins, — à l’époque de William Hogarth, de Rowlandson et de Gillray. Les Préraphaélites ont détruit cet art anglais, cet art insulaire et indigène, quand ils ont apporté d’Italie un art différent, que l’Angleterre n’attendait pas.

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