Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les œuvres qui traduisent des sentimens nationaux : il n’a pas tort. Il n’a pas tort non plus d’agréer comme un phénomène incontestable cette généralisation de la pensée moderne, qui fait que les écrivains et les artistes d’un pays ne sont pas enfermés dans leur pays ; cette curiosité qui fait que le public aussi teinte son goût d’une extrême variété de prédilections souvent très hasardeuses ; enfin ce caprice de la mode qui fait que de subites contagions d’esthétiques et d’idées se répandent. On ne résiste pas à l’évolution : tel est notre temps ; et nous n’empêcherons pas la terre de tourner. Mais on peut diriger en quelque façon le mouvement qu’on n’arrête pas. Bref, tandis que Filon se liait de plus en plus intimement avec l’âme anglaise, la vogue était chez nous au roman slave : dont se désolait Filon. Les Slaves l’ennuyaient, pour leur mélancolie embrouillée. Il admirait qu’on pût s’obstiner à l’étude méticuleuse d’un si morne chagrin : « cette étude, remarquait-il, ne parait nous avoir ni égayés, ni fortifiés. » Or, « l’âme anglaise est aussi intéressante et plus saine. » Il eut alors l’intention, qu’il a réalisée très joliment, de réunir « le goût de chez nous à l’humour et à la moralité de nos voisins, » dans une série de contes, Amours anglais : et les personnages sont des Anglais ; anglais, leurs sentimens ; et anglaises, leurs anecdotes. Le conteur, un Parisien, mais qui, tout en préservant son art français, prête à nos voisins sa fine complaisance. Ce n’est pas un pastiche des romans anglais : non pas ! Ce serait plutôt un mariage de l’âme anglaise et de l’esprit français. Un essai de mariage : et, si le mariage réussit, vous voyez ce qu’ont à gagner l’un et l’autre de ces deux peuples, pour peu qu’ils veuillent ne pas se méconnaître. La réussite est concluante.

Le recueil des Amours anglais commence l’œuvre romanesque de Filon. Plusieurs volumes, nouvelles ot romans, l’ont suivi. Et Filon romancier n’est pas seulement un écrivain très délicat, très habile à raconter des histoires, mais un critique, — il est un critique dans ses romans, — qui eut de bonnes idées et résolument les mit en pratique.

L’une des bonnes idées de Filon, — mais on verra comment l’idée est bonne, — c’est de redouter, pour le roman, la philosophie. En d’autres termes, il adore le bon Topffer et lui dédie, ou dédie à sa mémoire, les Vacances d’artiste. Il se lance même à tutoyer cette aimable mémoire et la complimente ainsi :