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« Tu ne songeais guère à résoudre ni à poser les grands problèmes sociaux et philosophiques où patauge le roman moderne... » Filon ne veut pas que le roman moderne patauge ; et qui ne l’approuverait ? Il n’a pas l’air d’imaginer que le roman moderne puisse traiter les grands problèmes sociaux et philosophiques sans patauger. Alors, il aime mieux les Nouvelles genevoises et, preuve de son abnégation, se place énergiquement sous le patronage et comme à l’ombre du Vaudois qui « n’avait pas son pareil pour faire rire les honnêtes gens aux dépens de leurs petits travers. » Ne médisons pas de ce bon Topffer ; et aussi ne nous attardons pas à noter que, si Topffer était le maitre incontestable du roman, ce serait dommage. Mais Filon ne croit pas inopportun de rappeler que le roman n’a pas besoin d’être ennuyeux. Ses contemporains le fâchent par leur défaut de futilité. Il se moque, dans Violette Mérian, de cette « intensité lugubre, que la jeunesse d’à présent apporte aux incidens les plus frivoles de la vie. » Et, dans son Mérimée, il regrette « cette légèreté, cette insouciance qui ont été si longtemps un des élémens de notre caractère national et qui donnaient une teinte gaie à l’héroïsme des anciens Français ; nous, nous sommes tristes, nous prenons la vie et la mort au sérieux et nous imposons cette tristesse aux arts, à la littérature !... » Honneur à Filon, qui a bien vu, contre maints doctrinaires du philosophisme et du moralisme, cette excellente vérité, que la littérature est d’abord un jeu. Las des doctrinaires, il se réfugie auprès de Topffer l’anodin. Certes, il a de l’indulgence et de l’amitié pour la bonne humeur avisée des Nouvelles genevoises. Mais ce n’est pas tout ce qu’il aime. Il aime une rivière qui reflète « un ciel de printemps, léger, clair et gai comme une page d’Edmond About. » Il aime plus encore Mérimée, lequel florit à une époque où il y eut de beaux loisirs pour les « jeux brillans « de la littérature.

Il aime l’auteur de Colomba : c’est une bonne idée ; c’en est une autre, de savoir au juste, avec l’aide de Mérimée, ce qu’on entend au juste par le réalisme. En ce temps-là, quand Filon donna Mérimée et ses amis, en 1894, le réalisme sévissait, achevait peut-être de sévir, continuait. Ce n’étaient que lourdes ignominies, entassées lourdement, laideur des paysages, laideur des personnages, laideur des aventures. Dans son étude sur William Hogarth, Filon raconte qu’à huit