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ans le petit Charles Lamb fut mené au cimetière d’Islington. Il regardait les tombes, lisait les inscriptions élogieuses, toutes élogieuses. Il demanda : « Où donc enterre-t-on les méchans ? Car, ici, ils sont tous bons ! » Filon, pareillement, après avoir examine l’œuvre d’Hogarth, demande : » Ils sont tous méchans ici ; où sont les gens de bien ? Où sont les travailleurs qui nourrissent la société, les penseurs qui l’instruisent, les magistrats qui font prévaloir la justice, les médecins qui soignent les maux du corps, les pasteurs qui guérissent les plaies de l’âme ?... » La même interrogation, naïve et pressante, est le reproche que méritent nos réalistes, l’un des reproches qu’ils méritent. Filon cherche les honnêtes garçons et filles. En 1898, appréciant les auteurs dramatiques déjà célèbres, il annonce « de hautes destinées » à l’un d’eux, à M. Lavedan : « Qui sait si ce n’est pas lui qui nous ramènera les braves gens au théâtre ? » M. Lavedan fit jouer Catherine : la jolie pièce ! un père, « adorable type de vieux naïf ! » sa fille, sérieuse et douce ! une duchesse, « démocrate sans le savoir, et dans le meilleur sens du mot ! » ce Paul Mantel enfin, plus qu’un honnête homme et presque un héros ! « voilà les braves gens que je réclamais de M. Lavedan. »

C’est la condamnation du réalisme ? D’un certain réalisme ; de ce faux réalisme qui, dans la réalité, choisit la seule ordure ou qui, moins répugnant, refuse de voir la beauté. Quant à condamner le réalisme, jamais ! Filon ne le condamne pas ; il voudrait le sauver : « je crois qu’il faut le sauver, dit-il, à tout prix. » Comment le sauver ? « Il n’est pas inutile de remonter par la pensée jusqu’au moment où il venait au monde entre Beyle et Mérimée. Une heure après sa naissance, il n’avait pas encore fait de sottises ; le monde de l’art et de la vie s’ouvrait tout grand devant lui. Imaginons qu’il en est encore là et cherchons la voie... » Bref, le réalisme est la vérité de l’art et de la littérature : une évidente vérité. Seulement, les réalistes ont mai accompli leur besogne. Faute de talent ? Faute d’esprit. Nos réalistes ont été, — Filon, s’il ne le dit pas en toutes lettres, l’insinue, — énormément bêtes. Et, adoucissons la remarque, ils ont manqué terriblement d’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? Si vous n’en savez rien, tant pis. C’est ce qui manque à nos réalistes ; c’est ce qu’il faut qu’on ajoute à la réalité pour qu’elle devienne objet d’art ou de littérature. Mais l’esprit a passé de mode. Qu’est-ce qu’un homme d’esprit ? « une manière de bouffon qui florissait