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la vie des réfugiés de tous pays et notamment d’une famille de « victimes du Deux Décembre. » Le 2 décembre a eu d’heureuses victimes : celles-ci sont à plaindre, et sont absurdes, prises par toutes les folies et toutes les calamités. Sous la tyrannie, c’est, à Paris, le monde de l’opposition républicaine sous l’Empire ; c’est le mélange des nobles rêveries et des hâbleries les plus démoralisantes. Il y a là des types mémorables. Celui d’un pauvre pédagogue de lycée, que la philosophie tourmente, et qui meurt sans avoir accompli aucune de ses méditations. Découragé ? Non ; il garde la force d’affirmer, aux derniers jours, sa devise et de citer du grec : « Kindunos kinduneutos ; c’est l’espoir qui doit nous fasciner, c’est la chance qu’il est beau de courir ! » Il ne maudit pas sa découverte : « c’est que le dévouement n’est pas la fantaisie des belles âmes, mais le devoir strict, la loi universelle, la nécessité souveraine et absolue... » Le type du démagogue très habile et qui fait valoir la démagogie, la fait valoir à son profit. D’ailleurs, tout prêt à se rallier, si l’Empereur y met le prix. Mais, à l’instant de causer avec le « tyran » seul à seul, il s’intimide : « Je ne suis brave que quand il y a du monde. La solitude m’ôte mes moyens... » Le type d’un ancien émeutier devenu sous-préfet très volontiers : « Le premier jour que je suis sorti en voiture avec une escorte, pour aller à l’inauguration d’un abreuvoir, quand le portier est venu me dire : Les gendarmes sont là ! j’ai eu un mouvement pour me sauver... » L’habitude ! Il ne connaissait de gendarmes que pour l’arrêter.

Filon, l’ennemi du réalisme, est, dans ses romans, un peintre de la réalité. Filon, qui se méfie de l’idéologie et qui supplie le romancier de ne pas patauger dans les grands problèmes, ses romans sont tout pleins d’idées ; et l’une de ses nouvelles, La Malle du capucin, n’est-elle pas un conte philosophique où la valeur de la science est en cause ? Et Filon, qui déteste la politique, malfaisante et la « pire ennemie » de la littérature, son roman Sous la tyrannie ne la refuse pas et fait bien de ne pas la refuser, quand il s’agit de copier d’après nature certains gaillards, dont l’un se console et, mieux, se pourléche, durant l’autre guerre : « Bismarck pourrait nous consoler de Blücher ; les Prussiens nous ont apporté la monarchie en 1815, pourquoi ne nous apporteraient-ils pas la République en 1870 ? » Eh bien ! Filon se contredit ? Pas du tout ! La littérature