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un village de la campagne de Londres. Il y meurt en 1832. Et pendant quatre-vingt-cinq ans, nul ne se rencontrera pour ajouter à la juste, mais froide renommée du pédagogue, du maître en la technique du clavier, la gloire aussi légitime et bien autrement éclatante du musicien de génie.


Pour l’établir, il suffit aujourd’hui des vingt sonates et caprices que recueillirent les mains défaillantes, mais fidèles, de Teodor de Wyzewa. Nous ne ferons que rappeler ici le Gradus ad Parnassum. Il est familier à tous les pianistes, surtout aux jeunes ; mais ceux-ci, d’ordinaire, et justement à cause de leur jeunesse, ne l’estiment pas son véritable prix. Un Wyzewa du moins en faisait grand cas. Il y voyait à tout moment, sous l’ « exercice » ou l’ « étude, » ou bien plutôt au-dessus, et très haut, la pensée, le sentiment apparaître et changer des formules techniques en des formes de pure et libre beauté. Dans le troisième et dernier volume, très supérieur aux deux autres, dans cette musique d’un passé déjà lointain, il savait reconnaître parfois, à des signes étranges, mais qui ne le trompaient pas, comme un pressentiment de la musique dite, hier encore, « de l’avenir. »

Au fond, une seule musique importe, celle de toujours. Et l’on ne saurait hésiter à tenir Clementi pour un maître, et non des moindres, de cette musique-là. Contemporain de Mozart et de Beethoven, né quatre ans avant l’un, dix-huit ans avant l’autre, il survit à ce dernier de cinq ans. S’il s’est inspiré de Mozart, Mozart, en retour, a subi son influence. Mais surtout, et c’est là son titre le plus glorieux, précurseur incontestable de Beethoven, il l’a plus d’une fois égalé.

Mozart était son dieu. On assure qu’il ne prononçait pas le nom du musicien de Don Giovanni sans une émotion qui souvent allait jusqu’aux larmes. « Quello Mozart, » aimait-il à répéter, « ha cavalcato non solamente sopra la musica del passato, ma soprà tutta l’arte dell’ avvenire. » Dès le lendemain de la rencontre de Vienne, il est saisi, pour son jeune vainqueur, d’une admiration que ses œuvres, pendant quelque temps, vont trahir. Il imprègne alors « de rêverie et de grâce poétique la vigueur expressive, encore un peu fruste, » de son art, et, jusqu’en 1783, il hésite, ou plutôt il se partage entre son goût natif de l’émotion pathétique et la divine sérénité du maître qui la charmé. En revanche, un peu plus tard, à peine Clementi, par une réforme capitale, et dont l’honneur lui revient, aura-t-il resserré l’unité de l’œuvre musicale, en substituant à la juxtaposition de sujets