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témoignage de Clementi lui-même, que celui-ci, à l’âge d’environ dix-huit ans, et donc dès l’année 1770 [1], avait déjà produit les trois Grandes Sonates pour le Forte-piano, qui, lorsqu’il les a publiées à Londres en 1773, dans son recueil op. 2, ont aussitôt stupéfait et bouleversé tous les « exécutans » de l’Europe, par la richesse et l’éclat imprévu de leur « écriture » instrumentale, destinée depuis lors à devenir universellement la langue habituelle, distinctive, du piano. Que l’on examine et compare, à ce point de vue de l’ensemble des procédés « extérieurs, » des « traits, « des « passages, » de la collaboration des deux mains, etc. la difficile sonate parisienne de Mozart qui s’achève par la Marche Turque, par exemple, et la sonate Pathétique ou la sonate avec la Marche funèbre, de Beethoven, presque toutes les différences que l’on reconnaîtra dans le « vocabulaire » purement instrumental de Beethoven ont eu pour source immédiate l’étonnante série d’inventions « techniques » faites vers l’an 1770, dans un château du comté de Dorset, par un jeune étudiant italien que retenait là, depuis quatre années, l’obligation de régaler tous les jours de savante musique les oreilles d’un vieux bourgeois anglais tout fier de l’avoir « acheté » à son pauvre homme de père. »

Le caractère instrumental et symphonique, le goût et le don, ou la science, du développement, du working-out, comme disent encore les Anglais, voilà le signe éminent qui fait beethoveniennes les plus belles sonates de Clementi. Mais ce n’est pas leur unique marque. Tout en elles parle du maître futur et souverain, tout le présage et le promet. D’abord, ce sont des pressentimens et, quelque vingt ans à l’avance, de véritables prophéties mélodiques. Ici nous croyons entendre approcher un thème de l’Héroïque ; là retentissent déjà, douloureux, irrités, certains appels du finale de l’Appassionata. Plus loin encore, ou de plus loin, voici jaillir des éclairs de la Neuvième Symphonie, ou bien, longtemps soutenus et portés jusqu’aux cimes, des chants s’élèvent, non seulement égaux, mais pareils à ceux que Beethoven, le Beethoven des derniers chefs-d’œuvre, nommera « cavatines » ou « bagatelles, » de noms trop humbles pour leur transcendante beauté. Ailleurs enfin, le thème ou Virtus initial de la Symphonie en ut mineur domine une sonate entière (n° XII, en sol mineur, 1788-1790). Il en est la substance, il en fait l’unité, et les quatre notes qui seront un jour célèbres entre toutes, nous annoncent, — avec quelle puissance ! — l’un des chefs-d’œuvre de Beethoven par

  1. L’année même où naquit Beethoven.