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l’un des chefs-d’œuvre, de Clementi. Ce n’est pas tout encore : il semble que Beethoven ait reçu de Clementi le secret de certaines modulations, imprévues, bien que logiques et naturelles, qui brusquement renouvellent pour nous l’aspect et comme le visage de l’univers sonore. De même Clementi le premier a tracé, d’une main qu’on dirait ailée, ces finales tournoyans, toujours à la Beethoven, qui, de la première à la dernière mesure, nous entraînent et nous enferment en des cercles de joie. Qui donc, avant Beethoven, a fait revenir, par un plus subit et plus pathétique retour, au milieu d’un finale, quelques mesures de l’adagio qui le précéda ? Que le tempo soit lent ou qu’il soit rapide, qui donc s’est ainsi montré le maître, également puissant, de deux ordres ou de deux royaumes : celui de l’action, de la passion portée à l’extrême violence, et celui de la méditation descendue aux dernières profondeurs ! Sur l’un et l’autre domaine, Clementi, avant Beethoven, a régné, préparant sur l’un et l’autre l’empire d’un plus grand que lui, du plus grand de tous, et qui de lui procédera.

Encore une fois, c’est un peu de l’âme de Beethoven qui vit et qui respire déjà, qui souffre, qui pleure, qui s’échappe ou se maîtrise, qui combat et qui triomphe, dans la musique de Clementi. Magnifique d’ardeur et de fougue, elle sait être superbe aussi de calme et d’auguste apaisement. Il n’est pas jusqu’à certain humour, un peu brusque et même brutal, dont elle n’exprime parfois les à-coups, les éclats, et qui n’ajoute un dernier trail de ressemblance à l’image anticipée que cette musique nous offre, de l’idéal ou de l’ethos boethovenien.

Image anticipée, image réduite aussi. Il est vrai que pour l’étendue, pour l’ampleur des proportions, les sonates-symphonies de Clementi ne sauraient être comparées aux grandes sonates et aux symphonies de Beethoven, généralement courtes, chacun des morceaux qui les composent ne compte qu’un petit nombre de pages. Mais la plénitude de cette musique en rachète la brièveté. Pour être sommaire, elle n’est jamais incomplète. Elle enferme, en un étroit espace, la force essentielle qui l’anime et la vivifie tout entière. Elle abonde, je ne dirai pas en ébauches, car on n’y trouve rien d’inachevé, mais en raccourcis. Précise, concise, elle signifie beaucoup, avec peu de signes, et deux mots, chers à l’ancienne Rome : imperatoria brevitas, ne définiraient pas mal, au moins dans un de ses élémens, le génie ou le style de Clementi, ce grand Romain.

Qu’il ait été si grand, et de cette sorte de grandeur ; qu’il ait, comme on dit vulgairement, « fait du Beethoven, » et de cette qualité,