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brillans des « poilus de l’arrière. » Les gestes d’une intense activité secouent la petite armée des travailleurs du Génie qui réparent au petit bonheur les ravages d’une route où les piétons sont considérés comme des intrus. Dans les ambulances, on se prépare à recevoir les convois de blessés que le fracas étouffé du canon annonce prochains ; les aéros tourbillonnent autour des hangars d’aviation. Tous les parcs d’artillerie desservis par les trains poussifs de la ligne interrompue à Eksissu essaiment des files interminables d’automobiles qui emportent les munitions vers les batteries du front ; petits et légers, ils se faufilent à travers tous les obstacles, dépassent comme en se jouant les caravanes des gros camions réservés à l’Intendance. Mais la réalité de l’état de guerre n’apparaît tangible qu’à Ostrovo. C’est là qu’affluent les nouvelles contradictoires et que l’on prend pour la première fois conscience des difficultés d’une campagne en pays macédonien.

La petite ville qui s’étage sur les collines chauves, le lac vaporeux qui la baigne, les cimes tourmentées qui limitent de toutes parts l’horizon et plongent en falaises dans l’eau bleuâtre, le minaret qui émerge de l’îlot désert, les troupes hétérogènes qui bivouaquent sur la plage où se mêlent les uniformes serbes, russes et français, solliciteraient le pinceau du paysagiste, la nonchalance du rêveur, la curiosité du reporter ; mais comment peindre, rêver ou comparer, quand les éclairs des « départs » et les geysers terreux des « arrivées » se perçoivent sur le sommet du Khaïmakalan ! L’air est si transparent et si léger que la cime disputée paraît toute proche et l’on s’étonne de ne pas entendre le tumulte du combat, de ne pas voir les obus tomber sur la ville où grouillent des militaires affairés. Elle est bien loin cependant et l’on ne peut faire que des conjectures sur le sort du combat furieux qui se livre là-haut. On va vers la gare où se concentrent les résultats d’une activité de fourmilière : « Les Serbes ont reperdu le Khaïmakalan, affirme un officier apparemment bien informé. — Mais non ! corrige un quidam qui arrive tout essoufflé : les Bulgares ont d’abord réussi leur contre-attaque, mais les Serbes ont tout repris. » Le long d’un train qui sommeille depuis plusieurs heures au bord du quai, — en Orient le temps n’a aucune valeur, même pour le ravitaillement, — des gens qui auraient mieux à faire pérorent, pointent leurs lorgnettes, interrompent leurs vaines investigations