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pour commenter les actes du roi Constantin ou les audaces de Vénizelos. Dans les bureaux ouverts à tout venant, de vagues scribes semblent danser le pas des écharpes en agitant sans grâce de polychromes papiers administratifs. Enfin, un remous secoue la foule. Des brancardiers se fraient passage : c’est un convoi de blessés qui arrive, où les Serbes verbeux, les Allemands et les Bulgares dolens sont confondus. Des prisonniers suivent, épuisés par la lutte sauvage qui dure depuis deux jours au corps à corps pour la possession du sommet convoité. On sait alors que nos alliés y ont fait preuve d’une magnifique bravoure et que, grâce à leur constance, ils commencent à progresser sur l’autre versant du Khaïmakalan. Aussitôt la foule se disperse. Les gens affairés oublient leurs affaires pour aller répandre promptement la bonne nouvelle. Ceux que leurs fonctions condamnent aux besognes sans gloire de l’arrière ne sont pas les moins empressés. C’est avec un farouche « on les aura » qu’ils terminent le récit partout complaisamment colporté d’une bataille dont ils furent les témoins par audition.

Réconfortées par cette espérance, les troupes continuaient, après une nuit fiévreuse, leur marche vers l’Ouest. Elles abandonnaient sur le bord du lac, avant le départ, les encombrantes inutilités qui surchargeaient depuis Salonique les cuisines roulantes et les animaux de bât. Les échappées de vue sur les lacets de la route qui monte vers Gornicevo avaient enfin raison de leur présomptueuse obstination. En vain les fourriers, les gradés aux équipages avaient-ils demandé la veille quelques motifs d’espoir aux conducteurs d’autos, aux notabilités de gîtes d’étapes. Les réponses négatives s’étaient stéréotypées dans un désolant accord. Il fallait donc se résoudre à s’alléger de nouveau pour atteindre sans trop de peine le col qui donne accès dans le bassin de la Cerna. Cette fois, par exception, le verdict de l’opinion publique rendait hommage à la vérité.

Les gradés qui stimulent les hommes, les hommes qui luttent contre les influences combinées de la route et du sac, les muletiers qui s’évertuent à maintenir sur leurs pattes des animaux décidés à se coucher, les conducteurs qui s’ingénient à corriger les lois de la pesanteur par des combinaisons de doubles et triples attelages, n’ont pas l’âme et l’esprit accessibles aux beautés de la nature. Et pourtant, quelle fête pour les yeux dans les paysages qui s’élargissent et s’étendent jusqu’aux