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en France est fâchée contre moi si je ne lui écris pas sur ma santé. Mère, comme vous, ma mère française fait tout ce qu’elle peut pour mon bien. Je ne puis pas louer assez par écrit tout ce qu’elle fait pour moi. Quand j’étais dans le village derrière la tranchée, s’il arrivait qu’un jour, pour raison de service, je ne fusse pas rentré le soir, elle venait elle-même à ma recherche et me ramenait à la maison. »

LA MÈRE. — Ah ! ah ! Elle le connaissait ! J’aurais voulu pouvoir le prendre par l’autre oreille.

LE FILS. — Il dit : « Et quand je fus envoyé en service dans un autre village, et qu’ainsi je ne pus trouver le temps d’écrire ni à vous, ni à elle, elle vint tout près de l’endroit où j’étais et où l’on ne permet à personne de venir et demanda à voir son garçon. Elle avait avec elle un gros paquet de provisions qu’elle m’apportait à manger. Que pourrais-je dire encore sur le souci qu’elle a de mon bien-être ? »

LA MÈRE. — Toutes ces vieilles femmes sont des folles ! Mais que Dieu récompense cette femme kafir [1] pour sa bonté, et ses enfans après elle... Comme s’il y avait des ordres capables d’écarter une mère ! Dit-il à qui elle ressemble de visage ?

LE FILS. — Non. Il continue à parler encore des coutumes des Français. Il dit ; « Les nouveaux hommes qui nous rejoignent viennent avec la conviction qu’ils sont dans le pays des Nakashas [2]. Ce sont les ignorans qui leur disent ça à leur départ. Ne le croyez pas ! Il fait toujours froid ici. On porte beaucoup de vêtemens. Le soleil est absent, l’humidité est toujours là. Pourtant cette France est un pays créé par Allah, et son peuple est manifestement un peuple de gens raisonnables qui raisonnent tout ce qu’ils font. Les fenêtres de leurs maisons ont de bons barreaux. Les portes sont solides, avec des serrures d’une sorte que je n’ai jamais vue auparavant. Leurs chiens sont fidèles. Ils rentrent leurs vaches et leurs ânes et leurs poules avec eux, pour la nuit et les ont ainsi sous la main. Leur bétail va au pâturage et revient au moment voulu sous la garde des enfans. Ils taillent leurs arbres fruitiers avec le même soin qu’apporte un barbier aux oreilles et aux narines d’un homme. Les vieilles femmes filent tout en allant et venant. Les ciseaux, les aiguilles, le fil, les boutons sont exposés pour la vente dans des boutiques au marché. On porte les poules par les pieds. Les

  1. Infidèle.
  2. Démons.