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bouchers vendent des morceaux tout préparés de volaille et de mouton qu’il n’y a plus qu’à faire cuire. Il y a de la graine d’anis, du coriandre et du très bon ail. »

LA MÈRE. — Mais tout ceci, tout ceci est comme chez nous.

LE FILS. — C’est ce qu’il dit. Il dit : « En voyant ces choses, les nouveaux hommes ont le moral tout remonté. Ne soyez pas inquiets de moi. Ces gens ressemblent exactement au reste de l’humanité. Ils sont, pourtant, idolâtres. Ils ne parlent à aucun de nous de leur religion. Leurs Imans [1] sont des vieillards de pieuse apparence vivant dans la pauvreté. Ils vont à leurs offices religieux même pendant que les obus tombent. Leur Dieu est appelé Bondir [2]. Il y a aussi la Bibbee Miriam [3]. On l’honore à cause de l’intelligence et de la capacité des femmes. »

LE PÈRE. — Hum !... Ah ! c’est mauvais pour la jeunesse de voyager ainsi. Les femmes sont les femmes dans le monde entier. Et après, Akbar ?

LE FILS, lisant. — « Il y a de saintes femmes dans ce pays, vêtues de noir, avec des cornes de toile blanche sur leur tête. Elles non plus n’ont aucune espèce de peur de la mort quand tombent les obus. J’en connais une qui me fait souvent porter des légumes du marché à la maison où elles habitent. Cette maison est remplie d’orphelins. La femme est très vieille, de très haute naissance et de tempérament irascible. Tous les hommes l’appellent Mère. Le colonel lui-même la salue. C’est ainsi qu’on trouve toutes sortes de gens mêlés ensemble dans ce pays de France. »

LA MÈRE. — Ah ! bien, du moins cette sainte femme était de bonne naissance, mais il parait qu’elle a la langue un peu vive. Continue.

LE FILS. — Il dit : « A cause de mon habileté au fusil, j’ai été fait tirailleur. On me donne une place spéciale pour viser individuellement l’ennemi. C’est du travail qui me connait. Ce pays était plat et découvert au début. Avec le temps il est devenu tout kandari-kauderi [4] de tranchées, sungars [5] et chemins de traverse dans la terre. Leurs visages se montrent bien derrière les meurtrières de leurs sungars. La distance était de moins de trois cents yards. Il fallait beaucoup d’adresse.

  1. Prêtres.
  2. Bon Dieu.
  3. La Vierge Marie.
  4. Coupe.
  5. Petites redoutes où s’abritent les tireurs.