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coup de feu, ajoute le capitaine Fonbonne à qui je dois ce récit, quelques grenades, des ombres qui traversent, fuyant vers les lignes allemandes, puis plus rien. Philippe était tombé sans un cri, atteint d’une balle au cœur, tué par un parti allemand égaré dans nos lignes et qui tentait par ruse de fuir vers le village ou le fort de Vaux, Ses hommes le ramenèrent près de moi, et durant la nuit, longue nuit de froid et de faim, je fis la veillée funèbre, alors qu’à quelques cents mètres Goury, qui devait mourir le lendemain, pleurait son ami disparu. »

Philippe et Goury, sous-lieutenans à la même compagnie du 230e, étaient tous deux instituteurs en Haute-Savoie. Une de ces amitiés comme la. guerre en noue les unissait, et pourtant ils étaient, d’apparence, si différens ! Philippe, grand, sec, robuste, plutôt silencieux, presque rigide, cœur ardent et sensible sous une écorce rude ; Goury, court et replet, la face pleine et réjouie, le cœur sur la main, la plaisanterie sur les lèvres, gai dans les plus dures traverses.

Comment ne rendrais-je pas un hommage rapide à mes deux glorieux compatriotes ? Auguste Philippe, né à Beaumont (canton de Saint-Julien-en-Genevois), avait trente-trois ans. Fils de cultivateurs, il sortait de la terre : elle fait les races les plus solides et les plus soumises au devoir, car elle est exigeante, mais bonne conseillère. Un de ses frères, soldat au 140e régiment, a été tué en Champagne en septembre 1915. Instituteur à Saint-Didier, il s’était marié selon ses goûts : tandis qu’il enseignait les petits garçons, sa femme instruisait les petites filles. Ils pratiquaient le même idéal de solidarité humaine. Ils étaient heureux, ils attendaient leur quatrième enfant, quand sur cet humble bonheur la guerre éclata. La maladie vint compliquer la séparation. Philippe, appelé comme sergent instructeur au 30e régiment à Annecy, dut laisser sa femme en péril. Elle fut sauvée et il put obtenir une brève permission pour la revoir et, avec elle, le nouveau-né. Le 12 octobre, il partait pour les Vosges avec le 230e et ne devait plus quitter le front. Ces détails de famille rappelleront à tant de soldats les épreuves qu’ils ont traversées. Une vie en reflète des milliers d’autres. C’est pourquoi il faut, de temps à autre, descendre au fond d’une vie.

Philippe est nommé sous-lieutenant en novembre 1914 ; il