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est cité à l’ordre de sa division le 25 juin 1915. Mais les honneurs militaires ne lui inspirent aucune vanité : il vit en dedans, sans cesse ramené vers les siens par la pensée, et l’on peut suivre dans ses lettres à sa famille le travail intérieur qui le conduit à l’acceptation complète du devoir, à l’oubli de soi, au sacrifice accompli pour le pays, à l’exemple donné pour le soutien moral de sa femme et de ses enfans. Il était parti sans enthousiasme, parce qu’il le fallait, et même il était de ceux à qui la guerre apparaissait comme une monstrueuse erreur du passé. Ses premières lettres sont pleines de conseils touchans sur l’éducation de ses enfans et de tendres souvenirs. La paix de son foyer le suit. Des chers petits il veut tout connaître. On devine les profondeurs du sentiment paternel. Puis un autre souci le prend peu à peu ; souci du chef qui s’accorde avec sa conscience professionnelle si délicate, presque scrupuleuse et rigoureuse : souci de ses hommes, des hommes qu’il doit diriger et conduire au combat. Son idéal tout humain trouve à s’appliquer. Ces hommes qui dépendent de lui, il les veut connaître, il veut se faire aimer d’eux, leur inspirer confiance.

Il écrit en toute simplicité, sans rien exagérer, sans rien dissimuler. Aucune vantardise, mais peu à peu on découvre chez lui cet oubli complet du danger que le devoir recouvre. Il est si préoccupé de sa tâche, « qui est de conduire ses hommes, de les rassurer » qu’il en omet d’avoir peur, et, pour un peu, il s’en excuserait. Il ne cache pas à sa femme les risques qu’il court, mais il les diminue pour ainsi dire en les rendant familiers : « Tu n’es pas de celles à qui il faut donner des illusions de fausse sécurité. Je t’estime plus haut que cela... » Il lui recommande la paix intérieure. En mars 1916, il lui écrit : « Nous avons bien souffert, mais nous ne sommes que des gosses en face de ceux de Verdun. Peut-être que leurs efforts, leurs souffrances nous dispenseront d’autres efforts. » Verdun préoccupe sa femme, Verdun l’effraie ; elle pressent que Verdun lui prendra son mari. Cependant, il n’y est pas encore envoyé. Et quand il y va, par une délicatesse raffinée, il lui fait hommage de sa propre acceptation. « Dis-toi bien, — lui écrit-il et c’est, je crois, sa dernière lettre, — que j’ai, que tu m’as donné tout le courage nécessaire pour que je fasse bonne figure... Dis-toi bien que tu es avec nos quatre chers petits tout mon bonheur et toute ma pensée... » C’est presque un testament. Il se préoccupait