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LES SANCTUAIRES


I. — VAUX


5 novembre.

Le rendez-vous est à la ferme Bellevue, au bord du bois des Hospices : de là nous passerons entre Tavannes et Souville pour obliquer à droite dans la direction du Chênois. Voici le commandant de Douglas, chef d’état-major de la division Andlauer après avoir commandé un bataillon de chasseurs à pied. Du chasseur, il a gardé le pas rapide et l’allure allègre. Mais notre marche est bientôt ralentie. La lune, après une timide apparition, s’est couchée, et la nuit est toute noire. Bien qu’il soit plus de quatre heures du matin, rien ne présage que cette épaisse nuit puisse jamais finir. Nous nous étions engagés dans un boyau si rempli d’eau que nous devons l’abandonner. Aucune piste n’est encore tracée et nous suivons la vague levée de terre qui accompagne ce boyau, en évitant les trous d’obus. On les évite malaisément, et de temps à autre une exclamation ou le bruit d’une chute dans une mare indique suffisamment que l’un ou l’autre de la petite caravane barbote au fond d’un entonnoir. Il faut décidément prendre garde. Il y a des trous si profonds qu’on risque de s’y enlizer dans la boue. Et l’on s’accroche à des restes de fils de fer, à des souches d’arbres arrachés, et l’on franchit des branches ou même des troncs jetés en travers. Ma foi ! l’un de nous se décide à faire usage de sa petite lampe électrique. Mieux vaut encore attirer les obus que se casser une jambe. Un souvenir littéraire me revient. Sainte-Beuve, qui devait se battre en duel un jour de mauvais temps, déclara qu’il ouvrirait son parapluie sur le terrain ; il voulait bien recevoir un coup de pistolet, mais non pas attraper un rhume de cerveau. D’ailleurs, en perdant Douaumont, ils ont perdu leur meilleur observatoire. Cependant, ces lueurs intermittentes empêchent les yeux de s’accoutumer à l’obscurité. Quand les ténèbres retombent, il semble que le sol se dérobe. Les fusées qui déchirent la nuit achèvent de jeter le trouble et l’hésitation sur la marche elle-même, si elles permettent de rectifier la direction.

Le guide a trouvé une vague piste un peu meilleure. Comme en montagne, de la tête à la queue de la petite colonne,