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démons d’Odin et de Wotan que les Allemands avaient amenés jusque là ont été exorcisés. Mais comment l’abbé Rochias est monté volontairement au fort dans la nuit du 3 au 4, ce n’est pas lui qui le dira.

A neuf heures du soir, le 3 novembre, comme les médecins-majors achevaient une journée assez rude au poste d’évacuation non loin de Verdun, le médecin-chef de la division, le docteur Antoine, reçoit un message téléphoné lui donnant l’ordre d’envoyer immédiatement au fort de Vaux un médecin et quatre infirmiers pour assurer le service de la garnison et organiser un poste de secours. Le docteur Antoine voudrait bien se désigner lui-même : son activité n’est jamais lasse et il a l’amour du danger : on l’a vu recueillir en personne des blessés, ensevelir des morts en première ligne. Mais l’importance de ses fonctions l’attache à son ambulance, et il désigne le médecin auxiliaire Agostini dont il connaît le dévouement. Il ne lui cache pas son dépit.

— Ce dépit nous a fait du bien, m’avoue en souriant le docteur Agostini. La première impression était plutôt désagréable. Nous étions fatigués, nous allions nous reposer. Et quant au fort de Vaux, il nous avait laissé de tristes souvenirs quand nous étions dans son voisinage au commencement de juin. Le retrouver ne nous disait rien qui vaille. Puisque nous faisions envie au médecin-chef, c’était une mission de confiance, et nous sommes partis avec sérénité. Ce qui acheva de nous ragaillardir, ce fut l’insistance que mit l’aumônier à nous accompagner. « Tenez-vous tranquille, lui disait le médecin-chef. — Eh ! vous vouliez partir, » lui répliqua-t-il. Sur quoi, nous l’emmenâmes.

Les voilà en route pour le Petit Dépôt, l’abbé Rochias, le docteur Agostini, les quatre infirmiers, plus un guide qu’on leur a donné. Au Petit Dépôt, devenu un poste de commandement, changement de guide. Daniel celui-ci n’est pas très sûr du chemin qui n’est guère fréquenté, mais la distance à franchir n’est pas grande, cinq ou six cents mètres. Partie à minuit du Petit Dépôt, la caravane n’arrivera au fort qu’à trois heures et demie du matin. Pour comprendre ce retard, il faut avoir vu le terrain. Par surcroît, elle se perdit. Il pleut à torrens, l’obscurité est complète, les trous sont profonds, les obus tombent, le guide ne sait plus très bien où il est. Sans