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s’en douter, il a contourné le fort et il conduit son monde aux nouvelles tranchées esquissées en première ligne, à deux cents mètres en avant, sur les glacis face à la Woëvre. On n’y attend pas de visites, et l’on est fort surpris de cette arrivée. Le chef de section qui reçoit la petite troupe s’informe à voix basse, — car l’ennemi n’est pas loin, — de ce qu’elle vient faire en ces lieux. « Nous allons au fort. — Vous l’avez dépassé. Il faut retourner en arrière. Un peu plus, vous tombiez chez les Boches. On va vous montrer le chemin. Combien êtes-vous ? — Un médecin, quatre infirmiers, le guide et l’aumônier. — Ah ! vous avez un aumônier. Passez-moi votre aumônier... « Dans un trou d’obus, l’abbé Rochias entend la confession de l’officier. Celui-ci le passe à un sergent qui le passe à un soldat. De trou en trou, le prêtre fait la première ligne. Cependant, les infirmiers attendent et leur attente se prolonge. « Malgré notre impatience, me dit l’un d’eux, nous ne pouvions qu’admirer cet homme qui, sans ordres, par simple devoir sacerdotal, était parti avec nous et trouvait le moyen, sous un feu sévère, sans compter une pluie diluvienne, de donner à de pauvres poilus trempés et en danger permanent, quelques paroles de paix et de consolation qui ne devaient pas leur faire de mal. » Enfin, la caravane prend le vrai chemin du fort. Mauvais chemin, terriblement battu. Un obus tombe presque sur eux. C’est la fin ? Il n’éclate pas. « Ça n’est pas étonnant, déclare un des pèlerins à l’arrivée. Cet homme-là est un magicien. » Et il montre le pauvre abbé Rochias tout transi et réduit qui voudrait bien se sécher...


Le temps passe, la matinée est déjà bien entamée : il faut partir, mais, auparavant, regarder les plaines de Woëvre, faire avec les yeux un tour d’horizon. Là, jadis, il y a si longtemps, — c’était au mois de mars, — j’avais vu se lever une radieuse aurore et entendu chanter l’alouette : c’était un si étrange contraste avec la tragédie que nous vivions alors, cette douceur printanière, ce chant d’oiseau ! La Woëvre, inondée sous un ciel gris, fait un immense marécage que viennent heurter, de Vaux, la pointe de Damloup, celle de Dicourt, On dirait qu’au bord de cette plaine une main géante s’est appuyée, écartant les doigts entre lesquels se creusent les ravins. A