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notre gauche, voici la crête noire d’Hardaumont ; c’est, de ce côté, le dernier observatoire de l’ennemi. Plus à gauche encore, Douaumont apparaît, dominant tout le décor, Douaumont qui est à nous.

La sortie n’est pas commode. Il faut attendre la chute d’un obus, prendre son élan et filer à toute allure. — Eh ! là, comme vous trottez ! ralentissons, je vous prie. — La troupe ralentit, et nous en profitons pour nous retourner et emporter dans le regard le fort aux yeux de monstre, Douaumont le géant, et, plus près, la Woëvre dont un fugitif rayon de soleil fait tout à coup miroiter les eaux. Puis nous reprenons notre marche sur ce sol convulsé, sans végétation, dont le jour ne permet plus d’ignorer aucune horreur. Un paysage d’astre éteint, de monde inanimé : voilà ce que les Allemands sont venus faire de cette terre de France. Et cette terre qui montre ses plaies crie contre eux. Mais le châtiment a commencé ; partout gisent des équipemens de chez eux, des sacs verts, des uniformes verts, tas de cadavres qu’on n’a pas encore eu le temps d’ensevelir.

Nous avons repris le même chemin qu’au départ. Nous sommes maintenant au pied de Souville, mordoré dans la lumière pâle. Les éclatemens autour de nous sont devenus plus rares. Cependant, sur la piste même que nous avons suivie, trois corps sont étendus, tués par le même projectile. Ils sont encore tout chauds. Leurs blessures sont effroyables et leurs chairs mêlées. A peine à quelques pas plus loin, deux soldats creusent un boyau. Ils ont continué leur besogne presque sans interruption. Ils ne peuvent plus rien pour leurs camarades et les brancardiers vont venir. Alors, il faut bien que le travail se fasse. Nous avons passé là tout à l’heure s pourquoi ceux-ci plutôt que nous ? C’est le destin, aurait dit le commandant Nicolaÿ. Aux abords du fort, il n’y avait pas de victimes : ici comme à la montagne, aux endroits périlleux les accidens sont exceptionnels et, quand on ne se croit plus menacé, la mort vient.

Ceux-ci ont été frappés l’outil à la main. Ils ont l’air de s’être serrés les uns contre les autres pour unir leur faiblesse. Il y a deux ou trois jours, dans le secteur des Eparges, le commandant de Lépinière, du 108e régiment territorial, qui est un régiment de Savoie, pour me montrer la solidarité qui lie ses