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projet est de pousser jusqu’aux bois des Fosses et des Caurières, qui furent le théâtre des premiers combats les 21, 22 et 23 février. De Vacherauville à Hardaumont, il s’agit d’emporter la côte du Poivre, Louvemont, la cote 378, les Chambrettes et de pousser jusqu’à Bezonvaux. Certes, la ceinture des forts est renouée, mais, quand on veut être chez soi, il ne faut pas laisser l’ennemi trop près de la porte [1].

Je monte à Douaumont avec le capitaine Cavaignac. Le départ à 3 heures du matin est glacial. Le temps s’est mis au beau, mais il gèle. Les étoiles brillent comme elles font aux lendemains de mauvais temps, après que le ciel a été lavé. Au poste de commandement de la division, nous trouvons un guide qui dort à poings fermés sur un fauteuil devant un magnifique feu de bois dont les matériaux ressemblent fort à des débris de planchers. Nous prendrions volontiers sa place. Mais il faut se hâter.

La montée de la côte de Belleville commence de nous réchauffer. La nuit, l’incomparable nuit d’étoiles nous tient compagnie. Du côté de Vaux, une planète, — Jupiter peut-être, — a tant d’éclat que nous sommes tentés de la prendre pour une fusée et d’attendre sa chute. La guerre nous a accoutumés à la pluie des astres artificiels. Mais, plus encore, elle a rattaché l’homme aux constellations. Il a si souvent vécu la nuit qu’il a pris goût à la connaissance des étoiles. Même s’il ignore leurs noms, — leurs beaux noms mystérieux, — il les suit elles-mêmes dans leurs évolutions. Il sait quand elles naissent au firmament et quand elles meurent. Un poète américain qui vivait en France, Alan Seeger, et qui, la guerre déclarée, voulut servir son pays adoptif et s’engagea dans la Légion étrangère, a magnifiquement exprimé ce sentiment nouveau, né d’une familiarité plus étroite avec la nature. Il l’a exprimé, non pas dans un poème, mais dans une lettre qu’il adressait à sa mère avant d’être tué à l’assaut de Belloy-en-Santerre (4 juillet 1916) : « Le soldat en sentinelle, écrivait-il, considérant la crête qui appartient à l’ennemi et au-dessus de laquelle la Grande-Ourse remonte vers le zénith, éprouve un enthousiasme sublime et inconnu de lui jusqu’alors, une sorte de camaraderie avec les

  1. Cette opération s’est faite le 15 décembre 1916 : c’est la victoire de Louvemont-Hardaumont qui a complété la victoire de Douaumont-Vaux et terminé la batatille de Verdin.