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étoiles. » Il n’y avait auparavant que les astronomes et les pâtres pour ressentir cette sorte de camaraderie...

Nous redescendons vers le ravin des Vignes pour remonter la pente de Froideterre. Mais, que de changemens depuis que j’étais venu ! Voici une voie ferrée où des hommes poussent des wagonnets, et voici une route, une vraie route, qui n’était certes pas marquée sur la carte.

— Oui, me dit mon compagnon, on construit 25 kilomètres de route et 10 de voie étroite. C’est pour la prochaine offensive.

Ce que la préparation d’une offensive, dans la guerre moderne, réclame et représente de travaux, on le saura un jour, avec stupéfaction. Le peuple romain est grand dans l’histoire parce qu’il a été le peuple bâtisseur. Tout chef d’armée est un constructeur aujourd’hui.

Ces voies ferrées, ces routes nouvelles ont été gagnées sur l’effroyable terrain qu’est le sol argileux de Verdun. Il a fallu apporter ici la pierre et promener le rouleau. Mais cela ne fait que de minces rubans tout bordés de précipices. De chaque côté, d’énormes entonnoirs nous guettent, souvent remplis d’une eau qui commence à se prendre et qui brouille les constellations en les reflétant. Et d’inquiétans débris se distinguent vaguement à la lueur des astres.

Nous laissons à notre droite l’abri des Quatre Cheminées sur les pentes du ravin des Vignes. Le petit jour qui point nous permet de reconnaître le poste de commandement 119, puis l’ouvrage de Thiaumont, pareil à une grosso motte de terre. Fleury est là-bas, longue tache blanche étendue comme un suaire. Tous ces noms représentent de la douleur et de la gloire : voir leur réalité, c’est mettre ses doigts dans les plaies de Verdun, comme Thomas les mit dans les plaies du Christ, après la Résurrection.

Cependant la voie ferrée que nous avions pris le parti de suivre n’est pas achevée. Il nous faut maintenant marcher sur une piste verglassée et glissante. Il ne nous reste que huit ou neuf cents mètres à parcourir, huit ou neuf cents mètres que nous aurons la chance de parcourir sur un terrain durci par la gelée quand, d’habitude, c’est une boue sans fond où il faut se hasarder comme sur un marécage. Des relèves ont ici perdu des hommes enlizés. Des coureurs n’ont pas reparu. Qu’on imagine ces voyages dans la nuit et sous les obus, où l’on a la sensation