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étendu qu’on ne s’attendrait à le voir de Douaumont qui, de tout le massif, est avec Souville le plus haut sommet, car la vue se heurte en avant à la cote 378 et aux Chambrettes. Douaumont, si l’on se retourne, livre au regard les deux rives de la Meuse : les Allemands, en le perdant, ont perdu leurs yeux. Il ne nous offre pas à nous, de leur côté, un aussi merveilleux observatoire. Je m’oriente pour embrasser, avant de repartir, le futur champ de bataille, celui de l’opération qui se prépare et qui va dégager les abords de Douaumont et de Vaux, fixer définitivement notre ligne au delà de Verdun. A mes pieds, ce sont les pentes brunes de la colline, toutes piquetées d’entonnoirs et de tranchées comme un visage marbré, et entaillées par une série de ravins. Sur la gauche, voici les ravins de la Couleuvre et du Helly qui vont se perdre vers Hardaumont. Ils semblent sortir de cette tache blanche presque lumineuse qui n’est autre que le village de Douaumont. Au-dessus, ces pentes qui montent et me font face, c’est la cote 378 qui barre l’horizon et masque le bois des Fosses. Plus à droite, sur cette crête, le bois déchiqueté des Chambrettes rassemble ses rares plumeaux. Toute cette terre, sans végétation, semble frappée irrémédiablement : jamais elle ne portera plus ni des fleurs ni des fruits. Çà et là, des colonnes de fumée qui montent des éclatemens et que les détonations accompagnent, font penser à des volcans souterrains qui grondent.

Des souvenirs me reviennent des premiers jours de la bataille, quand de poignans messages annonçaient successivement la perte du bois des Fosses, celle du bois des Caurières, celle des Chambrettes. Déjà la victoire du 24 octobre nous a ramenés au soir du jeudi 24 février. Tous les innombrables assauts livrés par l’ennemi depuis cette date sont annihilés. Et déjà, nous nous préparons à poursuivre nos avantages.

Il est temps d’abandonner ce belvédère, le soleil est déjà haut sur l’horizon. Mais la chance nous favorise et notre sortie est aisée. Un grand tumulte nous fait retourner : derrière nous, un barrage tardif fracasse des pierres, et nous nous arrêtons pour mieux emporter la vision de cette masse désordonnée et romantique que présente le grand fort. Les photographies d’avions lui attribuent des contours définis et il faut croire que ses fossés et ses redoutes ont gardé leur dessin, puisque, de haut, ils s’aperçoivent. Mais, de plain-pied, il n’a plus de forme.