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C’est la moraine des grands mouvemens géologiques. Le blanc gel qui la recouvre et la fait étinceler achève de nous reporter aux époques glaciaires.

Ce blanc gel donne à tout le paysage qui nous entoure une apparence si fantastique qu’il ralentit à tout instant notre marche pour le mieux contempler. Nous pouvons nous croire transportés sur une chaîne des Alpes. Dans les fonds, dans les ravins, c’est la mer de nuages. Seuls, émergent les sommets et ces sommets qui, dans la réalité, n’ont que trois ou quatre cents mètres à peine, prennent des airs altiers en se caressant à la clarté froide du soleil d’hiver. Souville, aux flancs baignés de brume, laisse la ligne sinueuse de son plateau flotter comme une écharpe légère. Cette haute falaise arrondie au-dessus d’un océan confus qui recouvre la plaine de la Woëvre porte le fort de Vaux. Autour de nous, la gelée a jeté un manteau d’hermine sur les affreux débris du champ de bataille : un casque, une gamelle, brillent çà et là et, si l’on regardait de plus près les bosses qui bordent les trous, on distinguerait des cadavres.

Mais pourquoi regarder de plus près ? Ce beau soleil d’hiver met l’âme en liesse. Les pentes de Froideterre, maintenant hors des vues de l’ennemi, se sont animées. La voie ferrée charrie des wagonnets de munitions et de vivres qu’une troupe bruyante accompagne. On dirait un chantier en plein travail. L’un ou l’autre ouvrier chante à pleine voix. De la côte de Belleville, nous cherchons des yeux la Meuse et Verdun. Mais la Meuse et Verdun sont dans le brouillard. Seules, les deux tours de la cathédrale sortent des nuages comme deux bras levés.


Le silence revêt le plus grand nom du monde :
Un lendemain sans borne enveloppe Verdun.
Là, les hommes français sont venus un à un,
Pas à pas, jour par jour, seconde par seconde,
Témoigner du plus fier et plus stoïque amour.

Ils se sont endormis dans la funèbre épreuve.
Verdun, leur immortelle et pantelante veuve,
Comme pour implorer leur céleste retour,
Tient levés les deux bras de ses deux hautes tours [1].


Apparition prodigieuse de ces deux bras levés au-dessus de la grande ruine victorieuse que les douces nuées sont venues

  1. Mme de Noailles.