Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

panser, comme les déesses accourues vers Prométhée crucifié.

Le fort de Vaux m’avait laissé une impression de douleur et de désolation. Mais ce retour de Douaumont prend un rythme joyeux. Ici, le 24 octobre 1916, l’hymne de délivrance a commencé de retentir quand les chaînes du premier captif furent brisées...


Henri Heine, le moins Allemand des Allemands, voyageant en Italie, raconte dans les Reisebilder qu’il fut pris d’un éblouissement quand le postillon lui cria :

— Nous sommes sur le champ de bataille de Marengo.

« ... C’est ici, écrit-il, que le général Bonaparte but un coup si copieux à la coupe de la gloire que, dans l’ivresse, il devint Premier Consul, Empereur, maître du monde et ne put se réveiller qu’à Sainte Hélène. »

Et quand la visite s’achève, il ajoute, le soir de son pèlerinage : « ... J’aime les champs de bataille, car tout horrible qu’est la guerre, elle témoigne pourtant de la grandeur intellectuelle de l’homme qui peut défier la mort, son plus puissant ennemi héréditaire. »

Plus tard les pèlerins qui, pieusement, graviront les pentes de ces deux sanctuaires français, Douaumont et Vaux, viendront y célébrer l’immortelle victoire de Verdun, qui marqua l’arrêt de la puissance germanique. De Verdun, ville de douleur, datera, pour la France, une nouvelle ère de gloire. Et ils sentiront sous leurs pieds cette terre frémissante et comme soulevée par tous les morts qui en ont fait à jamais une terre sacrée :


A force d’engloutir, la ferre s’est faite homme [1]...


En aucun lieu du monde, ne fut révélé au monde par les hommes un plus grand courage devant la douleur et devant la mort : « la seule chose qui vaille la peine que l’histoire soit écrite, a dit un historien [2], c’est-à-dire le spectacle d’une âme plus forte que le péril. »


HENRY BORDEAUX.

  1. Mme de Noailles.
  2. M. de La Gorce.