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artillerie de campagne qu’on ne peut utiliser, les théories des trains et des services de la petite armée. L’ennemi est en retraite et on le croit démoralisé. La distance, les rideaux d’arbres épars sur un sol plat empêchent de voir l’action. Passe un soldat blessé allant vers l’arrière : « Votre colonel est-il loin ? — Oh ! oui, à trois kilomètres d’ici. — Et vous-même, étiez-vous loin du colonel quand vous avez été touché ? — Oui, peut-être plus d’un kilomètre. » Trois plus un égale quatre, calcule aussitôt le grand chef qui prend sa carte, mesure au curvimètre, et conclut gaîment : « Mais alors, nous avons dépassé Velusina ! » La carte est fausse, l’échelle est assez petite pour amplifier démesurément les erreurs. Qu’importe, puisqu’elle confirme l’illusion : l’ennemi ne s’est pas arrêté à la barrière qu’il avait édifiée avec soin. Mais, demain, les troupes s’y heurteront. Les Bulgares qu’on croyait loin y feront honneur pendant plusieurs semaines à leurs maîtres allemands. Le tableau des pertes montrera de nouveau que la vaillance ne suffit pas pour renverser tous les obstacles.

Les lignes de Kenali révélaient ainsi tout à coup leur force de résistance. De leur structure, de leur tracé, de leurs moyens de défense on ne savait rien, ou presque rien. Leur camouflage déroutait les plus perspicaces observateurs. On ne pénétra que plus tard le mystère de leur invisibilité dans la plaine, qui les rendait invulnérables. L’ennemi connaissait les particularités du terrain, compact et dur pendant l’été, mais couvert de marécages pendant l’hiver. Aussi les tranchées étaient-elles peu profondes, mais une plongée raccordée au sol naturel par une pente très douce masquait le relief du parapet qui assurait aux fusils et aux mitrailleuses un vaste champ de tir. Vus de face, ces talus soigneusement gazonnés semblaient se confondre avec la ligne d’horizon et défiaient tous les réglages. Les réseaux dissimulés dans les chardons, dans les joncs qui çà et là couvraient les pâturages naturels, derrière les bordures des fossés d’irrigation, cachaient leurs piquets révélateurs aux patrouilles d’infanterie que les ruses d’approche les plus subtiles ne préservaient pas, le jour, de coups bien ajustés. La nuit, les Bulgares plaçaient contre les fils de fer une chaîne de petits groupes terrés au ras du sol et qui faisaient du tir systématique par salves ininterrompues. Des milliers de balles passaient, et la gène qui en résultait pour les reconnaissances, combinée avec