Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

preuve que la guerre hantait déjà cette tête tour à tour impulsive, calculatrice et ténébreuse ? Si telle est la vérité, n’a-t-on pas le droit d’en conclure que le « grand fait historique » le réjouissait parce qu’il faisait disparaître de l’Allemagne le dernier champion du particularisme, et qu’il pouvait désormais se jeter dans la guerre avec la certitude de n’avoir plus d’ennemi parmi les princes de l’Empire ? Ce n’est là qu’une hypothèse. Mais avec un dissimulateur tel que lui, toutes les hypothèses sont permises.

Quant au duc de Cumberland, sa soumission à l’Allemagne, son renoncement à ses droits sur le Hanovre et la restitution du duché de Brunswick à son fils ont dramatisé sa destinée en le séparant de sa famille anglaise et en lui fermant la Grande-Bretagne, en des conditions particulièrement cruelles. Le Cabinet Asquith avait préparé un projet de loi qui lui retirait, en même temps qu’au duc d’Albany, le siège qu’il occupait à la Chambre des Pairs en qualité de membre de la maison royale d’Angleterre. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas été donné suite, mais les deux princes ont été rayés de la liste des chevaliers de la Jarretière, et leurs bannières ont cessé de flotter dans la chapelle Saint-George, à Windsor, où se tiennent les chapitres de l’ordre.

Le mari de la princesse Thyra a fixé en Autriche leur résidence définitive. Ils y vivent en famille dans un palais voisin de Schœnbrunn, avec un minimum de protocole, parmi les restes somptueux du trésor des Guelfes, abondante vaisselle d’or, meubles énormes en argent massif, vitrines surchargées d’objets d’art d’un prix inestimable. Mais il est vraisemblable que ces richesses ne les consolent pas de n’être plus que des exilés et d’être devenus, dans la personne de leur fils, les complices des forfaits de Guillaume II et de François-Joseph.


ERNEST DAUDET.