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Selon une méthode qui leur est familière quand ils préparent quelque abomination, les Allemands, pour les déportations, n’agissent pas par surprise. Ils annoncent leur décision ou plutôt la font pressentir plusieurs jours à l’avance ; ils l’insinuent avec des airs hypocrites : « Les Anglais, par le blocus, rendent de plus en plus difficile le ravitaillement de la population civile : l’autorité militaire demande des travailleurs volontaires pour les travaux des champs... » Personne ne se présente : « En conséquence, fait afficher von Gravenitz, général commandant la place de Lille, l’autorité militaire procédera à l’évacuation d’une partie de la population pour exécuter ces travaux, — et non des travaux militaires, — dans la France occupée, loin derrière le front... Il est recommandé à tous de préparer un bagage de 30 kilos maximum : linge, ustensiles de cuisine, etc. En conséquence, défense est faite, à qui que ce soit, de quitter son domicile légal de huit heures du soir à six heures du matin. Cette mesure étant irrévocable, la population est invitée à rester calme et à obtempérer aux ordres ci-dessus... »

On devine l’émotion des Lillois. Vainement l’évêque de la ville, Mgr Charost, proteste-t-il par une lettre au général von Gravenitz ; vainement le maire, M. Delesalle, rappelle-t-il la première proclamation allemande garantissant « l’inviolabilité des civils ; » le général allemand se retranche derrière des « ordres supérieurs qu’il a reçus de très haut. » D’ailleurs, « c’est pour le bien de la population » que la décision a été prise.

On est en pleine semaine sainte. Les gens prudens, ceux que les sceptiques traitent d’inquiets, s’occupent de préparer leurs bagages : « Cédant à l’exemple, écrit Yvonne X... je commence le mien et celui de ma sœur ; mais, comme le bruit court que les Allemands n’opéreront ni le dimanche, ni le lundi de Pâques, je remets à plus tard de les terminer. En ville, nos parens, nos amis ne parlent que de la nouvelle menace allemande. Je me souviens que, le jour de Pâques, en finissant notre maigre diner, je rapporte à ma mère et à ma sœur que, chez une de nos amies, un soldat, venu pour réquisitionner, a déclaré d’un ton de défi : — Bientôt, nous réquisitionnerons les petites