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Mademoiselles... — Mais je ne crois pas possible qu’ils viennent me prendre et m’endors tranquillement. »

Nuit de lundi de Pâques ; douce nuit qui a l’odeur du printemps, ciel dont la clarté promet une belle journée. Dès deux heures du matin, dans la rue de Bourgogne où réside le colonel du 64e, les habitans sont réveillés. Un auto vient chercher le colonel, qui veut diriger lui-même les enlèvemens. Quelques officiers, des musiciens l’accompagnent. La rafle s’opère méthodiquement rue par rue, dans le quartier qu’habite Yvonne X... A quatre heures, elle est presque terminée : « A ce moment, je suis réveillée en sursaut. On carillonne chez nos voisins. Maman, dont je partage la chambre, saute au bas de son lit : « Les voilà ! » Maman n’avait pas fini de parler que, sous nos fenêtres, résonne un bruit de bottes, de crosses de fusil. Notre sonnette tinte avec frénésie. Ne pas ouvrir ? Impossible ! D’ordre du gouverneur militaire, on « doit toujours ouvrir aux Allemands. » Si l’on refuse, si l’on marque de la lenteur, de la mauvaise volonté, c’est l’amende ou la prison. Ma mère descend. Elle se trouve en présence de sept soldats du 64e... » Ce sont tous de jeunes gens, l’air narquois et comme émoustillé par la besogne qu’ils viennent de faire. Par la suite, les Lillois ont appris qu’aucun soldat marié ou d’âge mûr n’avait voulu participer aux enlèvemens. Le bruit a couru également qu’au café Bellevue, sur la grand’place, des querelles violentes dont plusieurs furent suivies de duels, avaient eu lieu entre des officiers, les uns blâmant, les autres approuvant l’acte inique. Un sous-officier accompagne les soldats qui ont pénétré chez Mme X... « C’est un petit gringalet, la moustache blonde coupée court, avec cette mine de fatuité qu’ont tous les sous-officiers allemands. Il prend la parole :

— Madame, combien de personnes, ici ?

— Trois : moi, mes deux filles.

Un soldat s’empare de la feuille de recensement obligatoirement apposée dans le couloir, puis :

— Montrez, madame...

Mais avant que maman ait pu le prévenir, le Boche entre dans ma chambre. Je suis encore couchée. L’homme m’interpelle :

— Vous êtes Mademoiselle Geneviève...

— Yvonne, rectifie maman.