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— Mademoiselle, levez-vous ! L’officier sera ici dans cinq minutes… »

Ayant dit, l’homme tourne les talons, se dirige vers la seconde chambre. Il va y entrer. Mme X… le repousse de la main, frappe à la porte. L’homme ricane : tant d’égards, pour une jeune fille, lui semblent le comble du ridicule. Il recommence son interrogatoire :

— Vous êtes Mlle Geneviève ? Levez-vous !

Les cinq minutes sont à peine écoulées que l’officier arrive. Dix hommes l’accompagnent, baïonnette au fusil. L’officier parle difficilement le français. on le dirait gêné par la besogne dont il est chargé. La pâleur de son visage indique un certain trouble de conscience. « Il s’assure de l’identité de chacune de nous ; puis : « Il faut qu’une des deux Mademoiselles se prépare à nous suivre pour aller à la campagne. » Je m’écrie :

— Pour où ?

Un sous-officier m’interrompt :

— Silence ! C’est un ordre. »

Comme Yvonne X… proteste, de toutes ses forces, l’officier, qui est pressé, finit par dire :

— Ça m’est égal laquelle des deux. Il m’en faut une. Choisissez…

« Alors, les soldats, pour me punir d’avoir osé protester, me désignent immédiatement du doigt :

— Vous, vous !

L’officier fait un trait au crayon bleu en regard de mon nom :

— Vous pouvez prendre 30 kilos de bagages. Vous emporterez une cuillère, une fourchette, un verre et une couverture. Vous avez vingt minutes pour vous préparer. Les soldats vont vous attendre et, si vous n’êtes pas prête… (Il a un geste)… les soldats vous enlèveront[1]. »

Yvonne X… se hâte de faire sa toilette et de préparer son mince bagage. Les vingt minutes ne sont pas encore écoulées, déjà les soldats tapent de la crosse dans le vestibule et, du bas de l’escalier, hèlent à grosse voix :

— Mademoiselle ! Vite ! Vite ! Partir !…

  1. Dans la matinée de ce jour, une amie d’Yvonne X… ramassa, dans une des rues du quartier, un papier tombé de la poche d’un officier. Il portait l’ordre : « Agir avec violence, mais sans scandale. »