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Yvonne X... descend. Moment poignant. Nous sommes dans une famille profondément chrétienne :

« Maman me bénit, me dit :

— Sois forte, mon enfant. Tache de soutenir autour de toi.

Nous nous embrassons et nous séparons sans pleurer. »

La porte retombe. Yvonne X... suit un des soldats. Les rues sont désertes, leurs abords gardés militairement. A un tournant, dans la pénombre, une masse confuse apparaît : moutonnement grisâtre de casques, de capotes. Toute une compagnie du 64e attend, l’arme au pied : « Je dois traverser leurs rangs. Des quolibets se croisent sur mon passage :

Ach ! T’en as pigé une belle !

Mon guide m’introduit dans la cour d’une maison où, déjà, quelques femmes sont rassemblées... »

Dans la cour, l’attente se prolonge. Le froid et l’humidité qui précèdent le lever du soleil, s’abattent sur les épaules des captives. Elle frissonnent. « Un brave homme m’offre son panier comme siège... J’interroge la jeune fille qui se trouve à côté de moi. C’est une femme de chambre. Elle m’apprend que la plupart de celles qui m’entourent sont des domestiques enlevées de. la place de Tourcoing. »

Une heure passe. Un officier allemand descend le perron, monte à cheval, donne l’ordre du départ. « On nous range. Baïonnette au fusil, des soldats nous encadrent. Le signal est donné : Los ! Nous emboîtons le pas... »

Maintenant, le jour est tout à fait levé. Les prisonnières avancent avec peine, retardées dans leur marche par leurs bagages. Quelques soldats consentent à aider les plus faibles, les plus fatiguées : « Les gens du quartier nous regardent passer avec stupeur. Une vieille femme me serre la main, elle pleure. D’autres me crient de leur fenêtre :

— Bon courage, mademoiselle, bon courage !

On nous conduit à quelque cent mètres dans l’établissement d’un entrepreneur de constructions. Là, beaucoup de captifs : quelques hommes, nombre de femmes. Parmi celles-ci, Mlle de V... Elle a été prise avec sa domestique. Des groupes ne cessent d’arriver. Nous y retrouvons beaucoup de connaissances. C’est toute la population de notre paroisse qu’on enlève : des fillettes auxquelles nous avions fait faire leur première