Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le quai, il nous fait passer les dernières ; mais le capitaine T... est là. Avec des airs obséquieux, il s’avance vers nous :

— Montez donc, mesdemoiselles, par ici...

Et comme toutes les voitures sont déjà pleines, on nous pousse, on nous case tant bien que mal dans un wagon sur lequel, à la craie, on a écrit : « Dix-huit femmes. »

C’est un wagon à bestiaux. On l’a muni de bancs dans le sens de la largeur ; point d’autre ouverture que la porte. La marche qui y donne accès est si haute que les femmes ne peuvent la gravir seules. Les soldats doivent les hisser l’une après l’autre. Nous sommes vingt-quatre prisonniers là dedans : vingt femmes, quatre hommes. Armés de fusil, trois factionnaires du 64e gardent l’entrée. Ils nous regardent curieusement, épiant nos impressions. L’un d’eux, qui comprend bien le français, écoute ce que nous disons et le répète à ses camarades.

Mais une sonnerie de fifres déchire l’air : le train s’ébranle... »

Jusqu’ici, les victimes ont montré un courage sans défaillance. Mais, à ce moment, beaucoup ne peuvent résister à l’émotion. Des fillettes sanglotent.

« Je me lève alors, raconte Yvonne X... Je propose de prier Dieu tous ensemble, de lui demander de nous protéger. Les sentinelles font silence. Nous récitons une dizaine de chapelet. »

Le courage renaît parmi ces malheureuses.

« Entre nous, nous faisons connaissance. La plupart de mes compagnes sont des domestiques, et je suis bien touchée de les entendre s’apitoyer sur leurs maitres que leur départ laisse dans l’embarras, plus encore que sur elles-mêmes. On s’enquiert des voisins : « Une telle a-t-elle été prise ?... Et une telle ?... » Les Allemands se mêlent à la conversation. Ils protestent qu’ils ont dû obéir, qu’il n’y a pas de leur faute dans notre enlèvement :

— Nous, pas pouvoir faire autrement !...

Et comme une fillette recommence à sangloter, l’un des soldats se penche sur le pauvre visage tuméfié par les larmes :

— Pas pleurer, mademoiselle ; encore plus triste Allemagne ! »

Le convoi chemine très lentement. A chaque arrêt, les soldats vont prendre les ordres. Apparemment, non plus que