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leurs prisonnières, ils ne savent où ils vont. La nuit tombe. Il fait froid. On ferme l’unique porte. Dans l’obscurité, une veilleuse rougeoie. Levées depuis quatre heures du matin, les captives n’en peuvent plus. Leur fatigue s’accroît de l’immobilité que, sur leurs bancs de bois, elles sont contraintes de garder. L’atmosphère s’alourdit. Trop de gens sont entassés là dedans. Les soldats fument.

« Quelques-unes de mes compagnes parviennent à s’endormir, à oublier ! Je les envie. Le sommeil me fuit. J’ai tout loisir pour penser... »

Yvonne X... n’est plus une enfant. Elle vient d’avoir trente ans. Elle se rend compte des dangers qu’elle peut courir. Des phrases échappées à certaines de ses compagnes ont achevé de l’éclairer :

— On dit que ce n’est pas seulement pour travailler qu’ils nous emmènent...

« Mourir, pense-t-elle, oui. Mais il y a pire que la mort ! »

Le convoi roule dans la nuit. Les roues des voitures grincent. La locomotive halète. De brusques secousses jettent les voyageuses les unes sur les autres... La longue, l’interminable nuit ! La face du soleil, enfin, émerge du brouillard. Les soldats s’étirent, ouvrent la porte. L’air léger du matin entre à flots, ranime les voyageurs. Où est-on ? A travers la brume, on distingue des hauteurs couvertes de sapins, quelques cimes se détachent : les Ardennes. Des clochers dressent leur flèche aiguë. Les fermes se multiplient, tapies au ras du sol. Dans les prairies, des vaches paissent.

« A cinq heures vingt, le train stoppe. Des officiers, venus de Vervins en automobile, s’entretiennent, sur le quai de la gare, avec l’adjudant de la Kommandantur et un civil qui fait fonction de. maire. L’adjudant est un gros garçon aux cheveux gras, couleur de filasse. Il a l’air bonasse sous ses lunettes rondes d’automobiliste. Il fait signe à un sous-officier qui procède à l’appel. On nous sépare. Les hommes sont dirigés vers une fabrique que les Allemands ont vidée de son matériel. Les femmes sont groupées sur la route. Nous attendons debout. Heureusement, il fait beau. Le soleil épand sa chaleur. Quelques femmes, des enfans, curieusement, viennent nous regarder à travers les haies. Nous les questionnons :

— Savez-vous ce qu’on va faire de nous, ici ?