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de B... de deux kilomètres, environ. « Nous les parcourons en compagnie de Mme D. et de sa fille. Chemin faisant, Mme D... nous expose ses projets. Elle ne peut nous recevoir chez elle, faute de place, mais elle ne veut pas nous laisser aussi mal installées. Elle va aller à la Kommandantur. Elle y est fort connue, car elle a rendu des services à l’ambulance... »

De fait, l’adjudant lui répond de s’arranger comme elle l’entend et Mme D... ayant demandé :

— A quoi allez-vous occuper ces jeunes filles ?

L’adjudant réplique :

— Hé ! qu’elles fassent ce qu’elles veulent ! Le commandant est absent. Jusqu’à son retour, je n’ai pas besoin d’elles.

Les gens du village suffisent amplement, en effet, aux travaux qui consistent à piquer des choux sous des châssis aménagés avec les bois et les vitres enlevés à une usine du pays. C’est donc bien la preuve que, dans les déportations de jeunes filles, les Allemands n’ont pas agi par nécessité. Ils ont cherché à infliger une nouvelle souffrance à la population civile ; ils ont espéré fomenter une révolte qu’on aurait réprimée brutalement. Les Lillois ont retenu ce propos, recueilli de la bouche d’officiers :

— Mais enfin, que faut-il faire, pour les pousser à bout ?...

« Après le petit déjeuner chez Mme D... reprend Yvonne X... nous sommes avisées de nous préparer à accompagner l’adjoint au village, pour régler la question de notre ravitaillement. Deux d’entre nous suffisent. Mes amies me demandent de les représenter et, une fois pour toutes, de prendre l’initiative des décisions les concernant ; ce qui fait que, dans la suite, les Allemands m’ont baptisée : Mlle Chef !... Je pars avec Madeleine. En route, en causant avec l’adjoint, je comprends que personne dans le village ne soit enchanté de notre arrivée. On n’a aucun besoin de nous et nous sommes des « rogne-part ! »

— Hélas ! gémit l’adjoint, nous avions déjà tant de mal à nous tirer d’affaire ! Un embarras fou, Mademoiselle, cette émigration qui nous arrive ! une charge énorme pour la commune !... »

Les Allemands ont promis leur concours pour le ravitaillement, si c’était nécessaire ; mais, promesses d’Allemands...

Gratifiée d’un peu de pain et de quelques denrées américaines, riz, haricots, café, céréaline, plus quelques grammes de sucre,