Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/877

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été réquisitionné dès le début de l’occupation, et ce n’est pas l’un des moindres soucis des prisonnières de voir leur garde-robe s’user sans pouvoir ni la raccommoder, ni la remplacer : « Nos chaussures surtout s’abîment à vue d’œil : les chemins sont rocailleux et nous les arpentons sans cesse. Chaque matin, nous constatons que les trous de nos bottines s’agrandissent... Dans la hâte du départ, nous n’avons pris que du linge. »

La petite troupe de prisonnières se met en branle pour B... Elles se quittent sur la place, mutuellement se souhaitent bonne chance :

« La porte de la Kommandantur est grande ouverte. Le cœur me bat, mais je suis résolue. Sans me soucier de la sentinelle qui ne pense pas d’ailleurs à m’arrêter, j’entre et me trouve dans une maison bourgeoise : petit vestibule, une pièce à droite, une pièce à gauche, toutes deux transformées en bureaux. Les fenêtres, grandes ouvertes sur la place, m’ont permis de voir qu’il y a quelqu’un dans celui de gauche. C’est un gros homme d’âge moyen, l’air doux. Il vient vers moi, me demande ce que je désire !

— Je voudrais voir le commandant.

— Il n’est pas ici.

— On le trouve tous les matins, m’a-t-on dit.

— Oui ; mais pas avant neuf heures.

— Il est neuf heures moins le quart. J’attendrai.

Survient un blanc-bec de secrétaire que j’ai déjà vu. Il a participé à l’appel, hier, sous le préau. Nous l’avons surnommé « Polo, » à cause de sa coiffure. »

Insolent, autoritaire, il parle aux captives ainsi qu’à des condamnées. Si on se permet de lui opposer la moindre objection, il explose comme un canon de 420. En allemand, il s’informe de ce que Yvonne X... vient faire :

— Elle veut parler au commandant.

— C’est pour une réclamation. Il faut la renvoyer.

Puis, tourné vers Yvonne X... en français, d’un ton hargneux, jetant chaque mot comme une injure :

— Qu’est-ce que vous lui voulez, au commandant ? Il n’y a pas de réclamations à faire.

Très calme, Yvonne X... répète :

— Je veux voir le commandant.

— Il n’est pas ici.