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— J’attendrai…

— Il ne viendra pas.

— J’attendrai tout de même.

« Devant mon insistance, le gros s’interpose :

— Madame peut attendre ici…

Et il indique le bureau en face. J’y entre. Le gros m’apporte une chaise. « Polo » me suit, s’assied, nerveux. Il fronce le sourcil et, brusquement :

— Qu’est-ce que vous avez à lui dire, au commandant ?

— Je veux lui parler de ma situation, ici.

— Il n’y a rien à changer à votre situation, ici. D’ailleurs, le commandant ne viendra pas.

— Je vous demande pardon. Le voici qui arrive.

Le commandant, en effet, entre accompagné de Wecks. Il monte l’escalier sans tergiverser, je le suis. Il se retourne sur le palier, ouvre une porte, me fait entrer. Debout, il m’interroge du regard. J’expose que nous sommes ici, plusieurs jeunes filles qui ont été enlevées sans raison. Nos familles ont toujours subvenu à nos besoins. Nous ne sommes pas de la catégorie des chômeuses qu’on a prétendu enlever. Il m’écoute, un peu penché en avant :

— Je sais qu’on a fait… comment appelez-vous cela ?… des erreurs…

Il parle un français très pur, en affectant de chercher ses mots. Il s’informe de quelques détails, demande où nous sommes installées et conclut d’un ton dégagé :

— Enfin, vous n’êtes pas si malheureuses que cela !

Je me rappelle ce que j’ai souffert depuis mon enlèvement, hier surtout :

— Vous conviendrez, monsieur le commandant, que des journées comme celle d’hier…

Cette fois, il m’interrompt brutalement :

— Que voulez-vous ? C’est la guerre…

— C’est la guerre, je le sais ! Mon frère a été tué, monsieur le commandant…

Des larmes me montent aux yeux. Indifférent, il me salue, sourit :

— Je verrai ce que je pourrai faire…

Formule banale, manière polie de se débarrasser de moi… »

Malgré sa déception, Yvonne X… fait diligence pour rentrer