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Comment dépeindre enfin les souffrances des jeunes gens de seize à dix-huit ans, employés dans les coupes de bois ? On les loge dans des baraquemens dont les doubles cloisons remplies de sciure entretiennent une vermine dont ils ne peuvent se débarrasser. Ils sont si mal nourris que, la nuit, furtivement, ils vont dérober des pommes de terre dans les silos des Allemands. Ils les font cuire, et la sentinelle laisse faire moyennant sa part de pommes de terre chaudes.

A Plaignes, les rats sont tellement nombreux que les « émigrés, » à tour de rôle, doivent faire le guet pour permettre à leurs camarades de dormir.

Dans ces « coupes, » on exige des jeunes gens qu’ils abattent les arbres, les transportent. Trop faibles pour un si dur travail, maladroits parce qu’ils manquent d’habitude, ils se blessent. Ils ont les jambes couvertes de plaies. On néglige de les soigner ; leurs plaies s’enveniment. Un jeune homme de Tourcoing est revenu infirme pour le reste de sa vie. Quand on a enlevé son pansement, c’était une odeur infecte. Le pansement n’avait pas été renouvelé depuis trois semaines...

« Pourtant, déclare Yvonne X... malgré tant de douleurs, malgré tant de tristesses, nous restions fermes. Que de raisons n’avions-nous pas de ne pas nous décourager ! Nous nous rappelions combien l’armée allemande était formidable, au début de la guerre, quand ses troupes ont défilé dans Lille. Cette armée, nous l’avions vue, chaque jour, diminuer en force ; nous voyions le moral des soldats faiblir, l’inquiétude les gagner. Nous savions que, finalement, nous serions victorieux, que nous ne pouvions pas ne pas l’être. »


Un jour, enfin, un bruit se répand dans le petit village. D’où émane-t-il ? De la Kommandantur ? Peut-être. Il se confirme : quelques-unes parmi les captives vont être libérées.

En effet, Yvonne X... reçoit un papier écrit au crayon :

« Mlles Simone de V..., Yvonne X..., Jeanne..., Juliette..., Madeleine... sont priées de se rendre à B... à trois heures allemandes, très précises, avec leurs bagages. »

La joie des jeunes filles est si intense qu’elles restent d’abord sans parole, ébranlées jusqu’au plus profond d’elles-mêmes.