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— Pourtant nous étions bien tranquilles, chez nous...

Il poursuit :

— Je veux dire : la guerre serait finie depuis longtemps ; mais, avec les Français, la Gloire, la Gloire !...

Là-dessus, il s’en va, non sans nous avoir souhaité bon voyage. En un tourne-main, nos bagages sont bâclés. Mme D... et Hélène veulent nous accompagner au village. Six jeunes filles y sont déjà. On fait l’appel et, devant les soldats et les paysans ébaubis, nous parcourons, pour la dernière fois, la route que nous avons arpentée si souvent depuis des semaines. Point jalouses de notre chance, nos compagnes nous souhaitent bon voyage. »


A quatre heures, le train s’ébranle. Les voyageuses sont montées dans des compartimens de troisième classe. Un soldat non armé les escorte. Elles ne sont pas au bout de leurs émotions. A Hirson, ordre de descendre.

« Nous pensons d’abord que c’est pour changer de train ; mais non. On nous fait entrer dans une salle d’attente où se trouvent déjà quarante-huit femmes et quatre hommes. Des voitures prennent nos bagages. Qu’est-ce que cela signifie ? S’est-on joué de nous ? Le soldat nous dit que nous passerons la nuit à Hirson. »

Le cortège, en longue file, déambule par la ville. Les habitans s’attroupent pour le regarder.

« La lune serait tombée sur la grand’place, ils n’auraient pas été plus stupéfaits. Depuis la guerre, aucun civil ne voyage en pays envahi. Puis, nous avions un aspect lamentable. Notre unique costume, nous l’avions traîné partout : dans le wagon à bestiaux, aux champs, sous la pluie, sous le soleil ; j’avais, aux pieds, une paire de gros souliers d’homme, en cuir jaune, que j’avais fini par me procurer.

Curieuses, des femmes s’approchent.

— D’où venez-vous ?... Que faites-vous, ici ?

Les soldats ne sont pas moins étonnés que les civils. Dans les maisons, les officiers soulèvent les rideaux des fenêtres. D’autres, dans les rues, s’arrêtent.

La route parait longue quand on ignore le but. Nous arrivons enfin à la Kommandantur. Nous attendons longtemps,