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sur la zone d’attaque, pour l’inciter à quelque fausse manœuvre telle que le déplacement intempestif de fantassins et de canons. Ils procèdent tous d’un même type : feintes d’artillerie aux environs, destruction rapide du réseau par torpilles, barrages par gros calibres autour de l’objectif, incursion d’agiles volontaires ou d’exécutans dressés à ce genre de sport, capture de quelques prisonniers, ou sabotage d’une mine, ou déception, suivis d’un violent tir de représailles sur les tranchées de l’agresseur. Rares sont les coups de main tentés d’après des formules différentes où l’art tient plus de place que le schéma.

Le dispositif en échelon des positions ennemies de part et d’autre de la Cerna semblait en offrir une occasion favorable. Sous la poussée des Serbes, les Bulgares avaient en effet évacué, quelques jours auparavant, leurs défenses sur la rive gauche de la rivière, qui s’appuyaient sur Brod, et ils s’étaient installés sur les contreforts de la montagne. Ils n’avaient pas eu le temps de relier par un solide pan coupé les tronçons disjoints de leur ligne, et ils se confiaient à la Cerna pour fermer la fissure béante qui les séparait. Quelques guetteurs veillaient la nuit loin de la rive droite qui leur appartenait et qui contournait une vaste presqu’île de prairies naturelles et de marais habités par des chevaux et des buffles abandonnés. On pouvait donc, avec de l’adresse, traverser la rivière, prendre à dos la position, ouvrir une large brèche dans les réseaux. Or, avant l’aube du 14 novembre, une équipe de pontonniers serbes avait charrié, à proximité de la Cerna, des nacelles qu’on transportait ensuite à bras et qu’on mettait à l’eau sans bruit. Un détachement de cent marsouins environ, avec des mitrailleuses, y prenait place, et les pontonniers le déposaient sur la rive bulgare. Du chef au dernier exécutant, chacun avait étudié, à la vue, pendant une semaine, les itinéraires et les objectifs ; le clair de lune, qui pouvait nuire à l’entreprise pendant la traversée de la Cerna, la favorisait pendant la marche sur un terrain marécageux et dépourvu de repères. La petite troupe se dirigeait droit vers son but, sans s’arrêter à d’inopportunes tirailleries. Elle savait qu’il fallait réussir ou périr, comme les Espagnols de Cortez, car la retraite n’était plus possible, puisque les pontonniers avaient enlevé sans retard leurs fragiles bateaux. Elle prenait à dos la tranchée dont les défenseurs, surpris et d’ailleurs peu nombreux, s’enfuyaient en la disputant à