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coups de grenades, s’y étendait jusqu’à l’objectif indiqué, détruisait les réseaux, ouvrait ainsi un large passage dans la barrière que nos troupes pourraient désormais franchir. Les officiers étaient hors de combat dès le début de l’affaire, mais les sous-officiers les remplaçaient de leur mieux. Le détachement, terré au cœur de la position ennemie, prêt à aider les assaillans de la plaine s’ils faisaient une trouée, était une menace redoutable dans son apparente inertie.

De deux adversaires aux prises, est vaincu celui qui croit l’être. Chez nous, ce soir-là, la nouvelle du triomphe serbe à Polok n’était pas encore parvenue dans nos états-majors qui n’avaient pas de liaisons rapides avec le voïvode Mitchich. Les plus optimistes ne songeaient pas à tenter un nouvel assaut ; la troupe isolée dans la position bulgare semblait à la merci d’une contre-attaque nocturne et recevait l’ordre de rentrer dans nos lignes par la brèche qu’elle avait pratiquée chez l’ennemi. Tandis qu’elle se retirait furtivement mais en bon ordre, avec ses blessés et ses morts et quelque butin, les Bulgares se dégageaient avec prestesse, par les moyens qui leur avaient si bien réussi devant Florina. Furent-ils découragés par leur grave échec dans la montagne ? Craignirent-ils pour le lendemain, dans la plaine, des attaques concentriques, grâce au succès du coup de main qui permettait d’amener sans dommage des troupes fraîches sur leur flanc ouvert ? La croyance en notre supériorité numérique, avec ses conséquences, leur fut-elle imposée par la violence de nos efforts ? Avaient-ils atteint ce jour-là le maximum de résistance fixé au préalable dans un programme de manœuvre qui les conduirait hors du guêpier macédonien, en maintenant sauve leur réputation militaire ?

Cette dernière hypothèse est la plus plausible. De nombreux indices faisaient supposer que les Bulgares se donnaient le temps d’évacuer le matériel et les approvisionnemens rassemblés à Monastir et dans les centres populeux de la plaine, en prévision d’une campagne d’hiver. Les Serbes exultaient. Ils voyaient déjà l’entrée triomphale du roi Pierre à Monastir, qui deviendrait, en attendant des jours meilleurs, la capitale d’une petite Serbie toujours vivante, le siège d’un gouvernement las d’habiter en garni ou d’être l’invité importun d’hôtes trop polis pour s’en plaindre. Dans leur hâte d’être « chez soi, » ils précipitaient leurs attaques sur la chaîne de montagnes qui leur